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LES RAGIONAMENTI

venir l’eau à la bouche d’une foule de gens qui eurent bonne envie de s’y jeter. Mais que veux-tu que je te dise de plus ? Ce puits devint en si grande vénération qu’on mit dessus une grille en fer ; toutes les femmes que leurs maris battaient venaient boire de son eau, et il leur semblait que cela ne leur faisait pas peu de bien. Bientôt, celles qui allaient se marier se mirent à se vouer à lui ; elles venaient prier la Fée au Puits de leur-dire leur bonne aventure. En une seule année, il y fut déposé plus de chandelles, de hardes, de camisoles et de tableautins qu’au tombeau de la Bienheureuse Sainte Madeleine de l’Huile à Bologne.

Antonia. — Voilà bien une autre folie.

Nanna. — N’en dis pas de mal, tu serais excommuniée ; je ne sais quel Cardinal quête en ce moment de l’argent pour la faire canoniser. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle faisait la paire avec ce Moine qui purifiait le peuple de la bienheureuse Gustalla.

Antonia. — Qu’elle la fasse pendant cent bonnes années.

Nanna. — Pour ne pas te traîner en longueur, j’abrégerai le chapitre des femmes mariées. Mais je veux encore t’en conter d’une, qui ayant le plus gentil mari du monde vint à s’éprendre d’un de ces gens qui font de leur individu une boutique, avec leurs marchandises avant, soutenues au cou par une bretelle, et s’en vont en criant : « Les beaux ferrets, les aiguilles, les épingles, les jolis dés, miroirs, peignes, ciseaux ! » toujours en marché avec telle ou telle commère, échangeant des huiles, des savons, de fausses muscades contre un morceau de pain, des chiffons, de vieilles savates, pourvu qu’on leur donne quelques sous de retour. Elle s’en assoiffa si violemment que, jetant son honneur sous ses pieds, elle lui donna toute une fortune. Le viédaze, laissant là ses guenilles, s’habilla en paladin et se mit à jouer avec les hauts personnages ; en huit jours, on lui donnait du Monseigneur, et il méritait une couronne.

Antonia. — Pourquoi ?

Nanna. — Parce qu’il traitait sa trésorière comme on traite