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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

« Quel chapon ! Quelles jambes en fuseaux ! Quels pieds énormes ! Quelle mauvaise tournure ! Quel squelette ! Quelle figure de possédé ! Quel museau de chien ! » Cette bonne pièce, qui grillait d’entendre louer chez elle ce qu’elle prétendait manquer aux autres, ayant reluqué un Frère convers qui, la sacoche trouée de toutes parts sur l’épaule, le frappoir à la main, venait mendier le pain à sa porte, lui parut bonne taille, jeune, sans souci, bien râblé : elle s’en éprit. Sous prétexe que l’aumône devait être faite de la main de la patronne, et non de celle de la servante, elle descendait elle-même l’apporter au Convers, et si son mari lui disait : « Envoie donc la fille », elle disputait une heure avec lui touchant le sens de l’aumône, la différence qu’il y avait entre la faire soi-même et la donner à faire aux autres. À la fin, devenue familière avec l’imbécile qui lui apportait souvent des agnus Dei, des noms de Jésus brodés en safran, ils s’arrangèrent ensemble.

Antonia. — Quel arrangement prit-elle ?

Nanna. — Celui de s’enfuir au Couvent.

Antonia. — Comment cela ?

Nanna. — Vêtue en novice. Pour avoir vis-à-vis de son mari un prétexe de quitter la maison, elle entreprit de lui soutenir un beau jour que la fête de Notre-Dame, qui se célèbre en août tombait le 16 ; elle le fit tellement monter en colère, qu’il la prit par le cou et qu’il le lui tordait comme à un poulet, si sa mère ne la lui eût arrachée des mains.

Antonia. — Maudite obstinée !

Nanna. — À peine relevée debout, elle se mit à crier : « Je vois ce que tu veux ; suffit, suffit, mais tu ne t’en tireras pas comme cela ; mes frères le sauront, oui, ils le sauront ! Tu attaques ainsi une pauvre femmelette ? Attaque-toi donc à un homme, puis tu reviendras me parler. Je n’en supporterai pas davantage ; non, je n’en supporterai pas davantage. Je me flanquerai dans un couvent, j’y entrerai, dussé-je d’abord brouter de l’herbe, plutôt que de me laisser lapider tout le jour par toi ; prends garde que je ne me jette dans les latrines ! Pourvu que je ne t’aie plus devant moi, je mourrai