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LES RAGIONAMENTI

Nanna. — Elle avait un mari continuellement malade, qui restait deux heures levé et deux jours au lit, pris parfois de telles palpitations de cœur qu’il en étouffait et semblait près de passer. Ayant appris d’une de ces balaye-bordels (qu’elle aille à la malheure) qu’elles pouvaient sauver l’homme qu’on mène à la potence, rien qu’en se jetant au-devant de lui et en criant : « Celui-ci est mon mari !… »

Antonia. — Qu’entends-je ?…

Nanna. — … elle résolut de donner le coup de pouce au sien, puis, usamt du droit des ribaudes, de prendre le vaurien pour époux. Pendant qu’elle y songeait, voici qu’avec des « Aïe ! aïe ! » son pauvre homme, fermant les yeux, crispant les poings, battant des jambes, vint à se pâmer. Elle, qui ressemblait à une caque de thon salé, pour être moins haute que large, lui mit un oreiller sur la bouche, s’assit et, sans avoir l’aide d’aucune servante, lui fit sortir l’âme par où sort le pain digéré.

Antonia. — Oh ! oh ! oh !

Nanna. — Alors elle fit un tapage épouvantable, s’arracha les cheveux, rassembla tout le voisinage qui, connaissant l’indisposition du pauvre homme, ne douta pas qu’il n’eût été étouffé dans une de ces crises dont il souffrait continuellement. On l’enterra fort honnêtement, car il était honnêtement riche, et aussitôt la veuve, véritable chienne en chaleur, se réfugia au bordel, pour ne pas mâcher le mot. Comme de son côté, ni de celui de son mari elle n’avait de parents qui valussent deux deniers, elle y resta sans empêchement aucun, tout le monde pensant qu’elle était devenue folle de douleur après la mort du susdit. Arriva la nuit qui précéda le matin où le misérable devait être exécuté : la ville en devint déserte, tous les hommes et presque toutes les femmes s’étant rassemblés au Palais du Podestat pour voir annoncer son supplice à celui qui en méritait mille. L’homme se mit à rire en entendant dire au Prévost : « La volonté de Dieu et celle du magnifique Podestat (j’aurais dû le nommer le premier) est que tu meures. » Il fut extrait de la prison et conduit au milieu du peuple, les pieds dans les