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LES RAGIONAMENTI

chemise. Et souvent, ah ! oui, souvent, ils mangeaient le pain et les miettes !

Antonia. — Pourquoi y restaient-ils, les brigands ?

Nanna. — Pour la liberté qu’il leur laissait. Eh bien, ma chère Antonia, elle avait jeté l’œil sur cette séquelle et, dès qu’elle eut flanqué au lit son vieux nigaud, la cuisse entre deux attelles, elle se remit à rêvasser, puis, étendant les bras, sauta du lit, malgré le bonhomme qui lui criait : « Holà ! holà ! » Elle le laissa s’égosiller, ouvrit la chambre et s’en alla trouver les petits drôles qui, auprès d’un lumignon prêt à s’éteindre, jouaient quelques liards qu’ils avaient dérobés au Messire en allant lui acheter des bagatelles. Tout en leur souhaitant le bonsoir, elle renversa la chandelle et s’appliquant sur l’estomac le premier qui lui tomba sous la main se mit à s’amuser avec lui. En trois heures qu’elle resta chez eux, elle les essaya tous les dix, deux fois chacun, et remontant à la chambre, bien purgée des humeurs qui la faisaient délirer : « En voudrez-vous, mon cher mari, lui dit-elle, à ma triste nature, qui me force d’aller en procession, la nuit, par la maison, comme une sorcière” ? »

Antonia. — Qui donc t’a raconté si minutieusement tout cela ?

Nanna. — C’est elle-même ; après qu’elle eut mis son honneur sous les escarpins, elle devint une femme à tout le monde ; ses gentillesses une fois en circulation, elle en parlait même à qui ne voulait pas l’écouter. D’ailleurs, un des dix preux, dépité contre elle de ce qu’elle s’était abandonnée à un autre, mieux fourni que lui, s’en alla comme un désespéré par les places, par les tavernes, chez les barbiers, dans les boutiques, raconter l’histoire.

Antonia. — Elle fit très bien ; tant pis pour le vieux fou, qui devait prendre une femme de son âge, et non une enfant qui aurait pu être cent fois sa fille.

Nanna. — Tu m’as bien entendue, c’est ainsi que cela se passa. Et non contente de l’avoir chargé de tant de cornes qu’un millier de cerfs n’auraient pu les porter, éprise un beau jour d’un certain vendeur d’almanachs, à l’aide d’un cornet