Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
97
LES RAGIONAMENTI

ferme et peu s’en fallut qu’il n’allât raconter sa bonne aventure au Dominé. Quant à elle, elle restait toute stupéfaite de cette prodigieuse marchandise dont sa douane avait été bondée jusqu’aux combles, quand voici qu’une rumeur s’élève par la ville ; l’un courait par-ci, l’autre par-là, et l’on entendait crier. : « Enfermez-vous, enfermez-vous ! » Elle se montre au balcon et aperçoit quelques-uns de ses parents tout en émoi, les épées dégainées, la cape roulée autour du bras, d’autres sans chapeaux, armés de vieilles lances, de hallebardes et de broches : son visage devient couleur de cendre et elle se pâme. À l’instant, elle voit apporter à bras, par deux hommes, son Chevalier couvert de sang et entouré d’une foule de monde ; elle tombe par terre, à demi morte, et le pauvre diable, monté dans la maison, est couché sur un lit. En toute hâte, on courut chez les médecins ; à la fin, on trouva des œufs et des morceaux de chemise d’homme : elle commença à reprendre ses sens, s’élança vers son mari, qui la regardait sans proférer une parole, mit tout sens dessus dessous dans la maison, et voyant qu’il allait trépasser lui fit le signe de la croix avec des cierges bénits, en s’écriant : « Pardonnez, recommandez-vous à Dieu ! » Il fit signe de pardonner et de se recommander, puis expira. Le médecin et le prêtre vinrent quand tout était fini.

Antonia. — À quel propos avait-il été assassiné ?

Nanna. — À propos de ce que la ribaude avait payé un scélérat, qui l’envoya dans la bière avec trois blessures dans le ventre ; l’accident mit tout le pays en révolution. Elle fit par deux fois semblant de vouloir se jeter par la fenêtre, mais se laissa retenir, et ordonna les obsèques les plus solennelles qu’on eût jamais, jamais vues : les armoiries du Chevalier peintes sur les murs de l’église, son corps couvert d’un poêle de brocart d’or frisé et porté par six habitants, avec presque toute la ville pour cortège, fut amené à l’église ; elle, tout de noir habillée, avec deux cents femmes qui pleuraient derrière elle, exhala tant de gémissements et d’une voix si tendre, que chacun en sanglotait. L’oraison funèbre prononcée en chaire, les vertus, les hauts faits du Chevalier