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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

de croire qu’une femme comme moi s’abaisse à vouloir de ce morceau de viande à deux yeux ? Dis-moi, pourquoi l’as-tu frappé ? Pourquoi ? Que lui as-tu vu faire ? Notre lit est-il un autel sacré, qu’un sot ne puisse le regarder ? Comme si tu ne savais pas que les hommes de cette espèce, une fois ôté de leurs livres, ne savent plus dans quel monde ils sont ! Mais c’est bien ; tu l’as voulu, tu l’auras. Dès demain je veux que le notaire fasse mon testament, pour ne pas laisser jouir plus longtemps de mon bien un ennemi, un homme qui traite sa femme en putain sans savoir pourquoi. » Puis, haussant la voix, elle poursuivit, en sanglotant : « Ah ! malheureuse ! Suis-je une femme à cela ? » et elle s’arrachait les cheveux ; on eût dit que son père venait d’être assassiné, là, devant elle. Je me rhabillai à la hâte et accourant au bruit : « En voilà assez, lui dis-je, taisez-vous, de grâce. Voulez-vous faire jaser tout le quartier ? Ne pleurez pas, Madonna. »

Antonia. — Et que répondait le bravache ?

Nanna. — Il avait perdu la parole à cette menace de testament ; il savait bien que qui n’a rien, aujourd’hui, est plus malheureux qu’un courtisan sans crédit, sans faveur et sans pension.

Antonia. — Ce n’est pas de la blague.

Nanna. — Je ne pus m’empêcher de rire en voyant le pauvre homme en chemise, tapi dans un coin, tout tremblant.

Antonia. — Il devait ressembler à un renard pris au filet et qui voit fondre sur lui une volée de coups de trique.

Nanna. — Ah ! ah ! ah ! tu l’as dit. En somme, le mari, qui ne voulait pas perdre la litière, parce que l’âne lui en avait pris une lippée, ni perdre sa pâture, verte pour lui toute l’année, s’agenouilla à ses pieds ; et il en fit tant, il en dit tant, qu’à la fin elle lui pardonna. Mais moi je mangeais mon pain sec en pénitence, pour avoir voulu faire la je-ne-veux-pas. Le précepteur alla se mettre au lit, avec sa bonne douzaine de coups de pelle ; eux, ils se couchèrent bien rapatriés, et moi de même. L’heure de se lever venue, voici ma mère : elle me ramena à la maison où, après avoir