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qu’il n’a pas vus depuis six mois. Sa fille avait un an et ne parlait pas quand il l’a quittée. Elle a 18 mois et elle parle. Elle l’appelle « sieur » (pour monsieur) et elle est très étonnée de trouver ce « sieur » le lendemain matin dans le lit de sa maman.

— Un officier anglais est carbonisé dans une chute d’avion, à Paris. Le docteur R… l’a autopsié. Bouttieaux lui demande : « Il était méconnaissable, n’est-ce pas ? » À quoi R…, froidement : « Je ne le connaissais pas avant. »

— Viviani avait été invité à déjeuner avec les ministres belges chez les Thomson. Il s’excuse en disant la tristesse de sa maison. Sa femme craignait depuis longtemps qu’un de ses fils n’eût été tué. Encouragée par des amis, elle espérait encore. Et, ce jour-là, on lui apportait la médaille d’identité.

— De la dictature d’État-Major. Les préfets des départements semi-envahis, dont le chef-lieu est encore à nous, ne peuvent pas téléphoner à leur ministre Malvy. Pourquoi ? Parce que les préfets téléphonaient une physionomie de la journée qui n’était pas toujours celle du communiqué. On attend le retour de Millerand pour vider l’incident.

— Les citations à l’ordre du jour, qui tiennent chaque jour des pages de l’Officiel, me montrent le sergent qui meurt en disant : « Tu diras que le sergent X est mort en bon Français. » Et l’amputé des deux cuisses qui déclare : « On ne saurait trop souffrir pour notre belle France. » Ainsi, dans ce suprême instant, c’est un cri d’amour pour la France qui s’exhale. Car j’admets difficilement un souci de paraître, quelque chose de factice en un tel moment. En tout cas, le suprême désir de mourir en beauté s’étanche à la source du patriotisme. Et alors, c’est toujours ma hantise. Pourquoi tant d’amour dans