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en infirmière. De Villers-Cotterets, elle va à Soissons en carriole. C’est une femme qui conduit. À Soissons, la mairesse, Mme  Macherez, la reçoit mal. Elle est accueillie dans un pauvre hôtel. D’ailleurs, belliqueuse. Elle a juré à son revolver de le décharger sur un Allemand ! Je retiens la mentalité du gendarme qui enquêtait sur elle. Elle lui déclare qu’elle est venue voir son cousin. Il la félicite. À la bonne heure ! Le cousin, l’amant, c’est permis. Ce qui est défendu, c’est le mari !

L’autre jeune femme a été accueillie selon ce qu’on appelle justement le sentiment français. Elle a pu échapper à Saint-Pol où sévit le terrible commandant M…, si sévère pour les autres. C’est lui qui, enquêtant dans un hôtel, demande : « Pas de femmes, ici ? » et qui s’attire cette réponse : « Aucune, sauf celle que vous avez amenée ce matin. » Donc notre héroïne arrive au village de repos de son mari. Et là, c’est la réception galante. Les hommes embrassent le manchon, agitent le petit sac, disant qu’ils n’en ont pas vu depuis six mois, respirent la boîte à poudre de riz, disant : « Ah ! ça sent la poudre ! » Puis c’est le champagne, le concert, où on lui donne un fauteuil près du commandant — le mari, sergent, est relégué au deuxième rang — où tous les officiers s’ingénient à la fêter, jusqu’au petit sous-lieutenant classique, timide, muet, et les yeux dévorants… Pour rentrer, notre jeune personne dut se blottir dans le coffre d’une auto postale. Et là elle eut encore une alerte. Car le conducteur, arrêté par une sentinelle, avait oublié le mot d’ordre. Et elle, qui le savait, ne pouvait pas le lui souffler. Elle dit aussi la lassitude des hommes, qui se plaignent d’être insuffisamment relevés, qui ne voient pas la fin, qu’on envoie se faire tuer par