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— Un des directeurs de la Télégraphie aux armées est de passage à Bordeaux. Vivant au G. Q. G., il dit que Joffre est une magistrale fourchette.

— Ce matin, mon propriétaire, qui est sous-chef de division à la mairie, n’est pas à son bureau. Il a fallu une cause grave. Le fils est mort. Sergent. La lettre de l’agence de Genève ne laisse pas de doute. La femme pleure. L’homme rage de ne pas savoir où, quand. Il dit : « C’est assommant. »

— Lecture du Livre blanc britannique. On y discerne l’incoercible fatalité des mobilisations qui craignent de se laisser dépasser, qui se hâtent et préparent ainsi le drame. Et ceci. Au 30 juillet, Poincaré fait dire à l’Angleterre : « Si vous vous mettez à nos côtés, c’est la paix. Prononcez-vous. » L’Angleterre refuse, disant qu’elle veut voir se développer les événements. On a le sentiment que les destinées de la planète oscillaient à cette minute autour d’un axe précis.

— Dans une liste de décorations (23 novembre) je vois promus officiers Du Paty de Clam et Driant. Le premier fut l’actif artisan de la condamnation du capitaine Dreyfus. La révision du procès l’accabla. Dix ans après, il tente de se relever, vainement. Et il entraîne dans sa chute le ministre Millerand, qui s’était prêté à sa tentative de réintégration. Et le voici, grâce à l’abominable aventure, réintégré, promu… L’autre, depuis trente ans, dans des livres à succès, prédisait La guerre de Demain. Demain venait, et pas de guerre. Et voilà qu’enfin la prédiction se réalise.

— Chacun, d’avance, escompte le profit de la guerre. L’un écrit : « Il faudra rétablir les anciennes provinces. » Un autre : « Il faudra réapprendre les grands classiques du xviie siècle. » Chacun suit âprement sa chimère.