— On me répète avec insistance qu’au sein du Conseil, Briand serait pour la paix et Poincaré pour une guerre indéfinie. La pensée est atroce, insupportable, d’un homme sacrifiant tant de petits gars à son ambition. Quel malheur d’avoir vécu dans un temps où cela soit encore possible, où le Nombre ne s’aperçoit pas encore qu’il est le nombre, où il ne s’organise pas, ne se révolte pas, ne s’impose pas.
— Il faut le reconnaître. En général, le paysan s’émeut plus de voir ses intérêts menacés — prix du grain, privilège des bouilleurs, impôts — que de se voir enlever ses enfants. C’est affreux, mais c’est ainsi. En Bourgogne, tout ce qui peut ramener un sourire sur les lèvres des parents qui tremblent pour un fils, c’est une belle vendange.
— Cela ne devrait-il pas ouvrir les yeux, que tous les réactionnaires aiment la guerre ? Cela ne prouve-t-il pas que c’est un héritage du passé, le plus sauvage ?
— Le délire de la mode gagne les mobilisés. Et alors, ce sont des costumes de fantaisie grâce auxquels on s’efforce d’être crâne, beau, fendant, suave, héroïque, des bonnets de police sur l’oreille, des bérets sur l’épaule, de grands revers, des chemises bleues, des cravates assorties, de hautes bottes fauves aux patients laçages, une frénésie d’éblouir.
— Cette guerre aura démasqué la fragilité du mariage. 80 0/0 des femmes sont heureuses d’être loin du mari et la moitié a pris un remplaçant. C’est un drame courant dans le peuple. Ce témoignage me vient de gens qui connaissent mieux que moi les milieux populaires.
— On me cite une femme qui fait des obus le jour et le trottoir la nuit.