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qu’il le soit, ou le paraisse. L’affection est vaincue par le respect humain.

— Pour la seconde fois, je vais voir les miens à Saint-Amand (Cher) où ils ont été se réfugier. La première fois, j’y avais été en auto, de Bordeaux. La seconde, en chemin de fer. Je voyage avec une infirmière débarquant de Rabat. Elle m’avoue qu’elle se faisait la main à la guerre de revanche. À Tours, de jeunes garçons sont brancardiers. Ils ont le bonnet de police. Ils marchent au pas pour porter des civières vides. Un vieux les imite. Ils bousculent la foule. Comiques et touchants, ils sont le sentiment de sauver la France. Entre Tours et Vierzon, des femmes et des enfants offrent, à quiconque porte un uniforme dans le train, des fruits, du lait, du café, des tartines, du chocolat, des cigarettes. Les soldats, gavés, finissent par ne plus accepter que par politesse. Ah ! un peu de cette solidarité dans la paix ! Les gares sont transformées en ambulances, en postes militaires. Il n’y a plus de salles d’attente.

Au retour, entre Saint-Pierre et Tours, j’entends deux familles qui se sont rencontrées. Elles énumèrent leurs morts aux armées avec une résignation stupéfiante, comme s’il s’agissait des victimes d’une catastrophe naturelle, une éruption volcanique. À Angoulême, on glisse sur une civière, dans un compartiment voisin, un blessé qu’un éclat d’obus a atteint aux reins et paralysé. Une infirmière le sonde en route. Sa femme ou sa maîtresse l’assiste. Elle est blonde. Elle dit à l’infirmière : « Il ne veut pas croire que je l’aime toujours… » Quand l’infirmière va se laver les mains aux W. C., ils s’embrassent éperdument sur la bouche. L’infirmière, de retour, regarde pudiquement la nuit, par les glaces du couloir.