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caré. Ce dernier connaît l’existence de ce document.

— Le 10 mai. À l’hôtel Meurice, à une table voisine de la nôtre, déjeunent l’ancien ministre de la Guerre Messimy et le député Tardieu. Nous causons à l’issue du repas. Ils viennent du front. Ce qui les frappe, à l’arrière, ce sont deux groupes, l’un d’optimisme béat, l’autre de pessimisme absolu. La vérité est entre les deux. Cependant, le clan optimiste les choque, ceux qui mangent des truites en disant : « Voyez comme nous tenons et comme nous sommes héroïques. » Ils réclament encore des efforts industriels.

Messimy me dit qu’à Amiens on lui a raconté que j’écrivais un livre sur les infirmières. Je confirme que je ne veux rien publier pendant la guerre et que je me borne à ces notes.

— Les journaux n’ont donné des soldats que des lettres héroïques. En voici deux d’un autre ton. J’en garantis l’authenticité. L’une : « Voilà le beau temps. C’est triste de penser à la mort quand on est en bonne santé. À quoi cela sert-il ? Pourquoi anéantir en masse des tas de braves gens qui ne demandent qu’à vivre avec leur famille ? Folie, méchanceté, idiotisme d’une minorité qui écrase le nombre, le peuple de moutons que nous sommes. »

L’autre : « Dimanche de Pâques. La neige. Les obus : cent en cinq minutes. Le repas : une sardine et deux biscuits. On se dispute l’eau au fond des trous d’obus. Elle est jaune de poudre. Il faut la laisser déposer dans le quart avant de la boire. Cela nous semble tout de même bon, car on meurt de soif. Nous sommes au bois de la Caillette : arbres arrachés, pas une feuille, pas un brin d’herbe. Rien que des bras, des jambes, des troncs, des fusils, de