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On annonce la résistance de Liège, la marche triomphante en Alsace. Joffre lance un ordre du jour où il baptise cette conquête : « le premier geste de la revanche ». Les Allemands seraient affamés, ils se rendraient pour une brioche. Ils tirent trop bas et leurs obus n’éclatent pas. Le trait le plus net de la vie locale, c’est l’espionnite. On voit des traîtres partout. Santos-Dumont, précurseur en dirigeable et en aviation, brésilien de naissance et qui certainement a donné bien des gages d’attachement à notre pays, est mis en suspicion. N’a-t-on pas trouvé dans sa villa de Deauville une chambre claire, jouet scientifique, où se projette la rade du Havre ? De ma fenêtre, je vois un détachement d’artilleurs qui part en chantant. J’éclate en sanglots.

Enfin, j’ai la permission de sortir un peu. Le rythme de la mer, l’impassibilité de l’horizon, soulignent la monstruosité de la catastrophe. Sur la plage, des enfants jouent à la guerre. Les filles veulent âprement être infirmières. Les garçons timides font les blessés.

Nous quittons la mer en auto le 22 août. Déjeuner à Mantes chez les Victor Margueritte. Les faces sont graves. On est dans l’événement : on ne le voit pas, comme un aéronaute ne voit pas le contour du nuage qu’il traverse.

Nous arrivons à Paris pour la bataille de Charleroi. Chaque soir, M. Thomson, rentrant du ministère de la Guerre, annonce : « Ça va mal. » Il garde de la prestance, de l’enjouement, de la force dans la belle humeur. Le 26, ne me signe-t-il pas la première carte postale militaire de ce mot : « Confiance ! »

On commente sans la comprendre la dépêche de Joffre : « Les cartes sont abattues, la parole est au Gouvernement. » Puis arrive le fameux commu-