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sprache, 65, M. Kluge en fournit des exemples, notamment le bas allemand gnote au lieu du haut allemand genosse « compagnon ». M. Horn fait la même remarque pour la langue des soldats allemands, dans sa Soldatensprache, 9 et suiv. Cette influence d’éléments étrangers se manifeste souvent par des traductions ; ainsi, dans la langue spéciale des premiers chrétiens, l’« ancien » qui était le « prêtre » était désigné par le mot πρεσβύτερος en grec ; dans le groupe des chrétiens de langue latine, où se trouvaient mêlés de nombreux éléments helléniques ou hellénisés, le mot a été gardé tel quel ; on a dit presbiter, qui a subsisté en français sous les formes prêtre et aussi prouvoire en vieux français.

On conçoit enfin qu’on puisse recourir à un autre procédé et que, au lieu d’employer le mot étranger, on le traduise, c’est ce qui a été fait en Orient : en Arménie le mot erêc « ancien » a aussi reçu le sens de « prêtre », et le géorgien fait exactement de même avec son mot signifiant « ancien ». Ou bien encore on peut, ce qui revient à peu près au même, charger un mot national d’un sens étranger ; ainsi l’anglo-saxon eorl « homme libre (qui va à la guerre), noble » a reçu sous Knut le sens du mot norrois jarl « vice-roi, gouverneur de province » qui était reconnu par le sujet parlant pour identique au mot anglais ; sous la domination normande, le même eorl a servi d’équivalent au français comte, et c’est cette valeur que earl a encore en anglais moderne.

De ce double procédé d’emprunt et de traduction de termes étrangers il résulte que les vocabulaires des groupes particuliers qui sont en relation avec des groupes pareils dans des pays parlant d’autres langues présentent d’ordinaire un grand nombre de ressemblances. Le vocabulaire militaire par exemple est à peu près le même d’un bout de l’Europe à l’autre.

Le fait est particulièrement sensible dans les groupes composés de savants, ou bien où l’élément scientifique tient une place importante. Les savants, opérant sur des idées qui ne sauraient recevoir une existence sensible que par le langage, sont très sujets à créer des vocabulaires spéciaux dont l’usage se répand rapidement dans les pays intéressés. Et comme la science est éminemment internationale, les termes particuliers inventés par les savants sont ou reproduits ou traduits dans des groupes qui parlent les langues communes les plus diverses. L’un des meilleurs exemples de ce fait est fourni par la