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6 L'HUMANITÉ NOUVELLE

coureur antique, des mains de ses prédécesseurs ; mais, — la science exacte ayant progressé dans l’intervalle, — il la reçoit déjà éteinte, sans flamme, déjà incapable d’éclairer la route ; et il l’allume à son tour au foyer du savoir de l’époque. L’éclectisme est une sophistication précaire de la vérité. Les philosophies qui se suivent s’excluent mutuellement. Un système nouveau ne peut s’établir et prospérer, s’affirmer et vivre, que s’il est capable d’opposer, sur des points importants, sur des « nœuds vitaux » de la pensée générale, aux écoles qui le précèdent et auxquelles lui-même se rattache par les liens les plus étroits, autre chose que de simples acquiescements, ou encore des fins de non-recevoir. Il doit être en mesure de donner aux problèmes essentiels des solutions, sinon contraires, du moins différentes.
Certes, en regard des philosophies et des religions vivantes, il existe des philosophies et des religions mortes, des doctrines et des croyances pétrifiées, momifiées, qui peuplent et encombrent les cimetières archéologiques de l’histoire ; ou encore des embryons de systèmes, des fœtus imparfaitement éclos ou venus avant terme.
Celles-là ont vécu, et ceux-ci vivront ou ne vivront pas, selon les cas et les circonstances. Je les laisse tous de côté, je m’occupe des organismes philosophiques où la sève de vie coule à plein bord.
Les systèmes philosophiques viables se composent de deux sortes de matériaux, de deux parts qui, le plus souvent, sont très inégales. L’une représente l’apport anonyme de la science des siècles écoules, des générations disparues. L’autre figure l’apport du savoir nouvellement acquis par l’époque courante.
Dans la première, la personnalité du philosophe s’efface et disparaît presque devant la grande œuvre collective du temps. Dans la seconde, au contraire, elle s’affirme, elle s’accuse par des signes subjectifs, par des emprises caractéristiques, qui, trop multipliées, peuvent facilement nuire à la stricte harmonie de l’ensemble.
Les vues habituelles sur la filiation des systèmes diffèrent de la théorie que je viens d’esquisser. Mais je m’adresse à des auditeurs qui n’ignorent point les principales controverses philosophiques du siècle ; je ne m’attarderai donc pas à exposer des doctrines bien connues, ni à les réfuter. Je me bornerai simplement à faire ressortir que les idées opposées aux miennes sont basées sur une prénotion que j’estime fausse et qui consiste à voir dans la philosophie la matrice où s’élaborent et d’où sortent, dont se détachent peu à peu les sciences particulières.
Ce prétendu « exode » des sciences est. une des plus graves et, des plus tenaces illusions qui aient jamais frappé notre vue intellectuelle. C’est l’erreur qui prend l’ombre pour le corps, l’apparence pour la réalité.
Un savoir vague, indistinct et empirique produit une philosophie de la même espèce et qui semble contenir, à l’état de germes rudimentaires, tous les ordres de connaissance.
Et quand, plus tard, une science particulière se forme, il nous paraît qu’elle a poussé sur le vieux tronc philosophique. Il n’en est rien, en vérité. La nouvelle science n’enrichit pas la vieille philosophie ;