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POURQUOI JE NE SUIS PAS POSITIVISTE

latives et toujours spéciales ; et, de l’autre, elle se sert des conceptions philosophiques et des conceptions esthétiques pour agir sur l’activité qui demeure en-deçà ou qui va au-delà des limites strictement techniques. Et c’est en accomplissant ce double circuit qu’elle détermine et dirige notre conduite générale.
Les brèves indications que je viens de donner expliquent le but et le plan de ces leçons, qui, destinées à paraître sous forme de volume, constitueront le quatrième par ordre dans la suite de mes Essais sur l'éthique considérée comme sociologie élémentaire.
Me voilà arrivé à la moitié, et peut-être à la partie la plus difficile de la route que je m’étais proposé de parcourir et dont j’avais tracé les contours un peu vagues dans la préface de mon livre sur le Bien et le Mal. Avant de continuer mon chemin, j’éprouve le besoin de faire une courte halte, de m’arrêter un instant. Mais je n’emploierai pas ce répit à jeter un coup d’œil en arrière, sur l’étape déjà fournie, ni en avant, sur la tâche qui me reste à accomplir. De pareilles digressions ont leur utilité, sans doute ; mais elles ne sont pas indispensables. Ce qui, en revanche, me semblé bien autrement urgent et nécessaire, c’est d’obvier, de parer, dans la mesure du possible, aux malentendus d’une nature générale ou philosophique qui se glissent parfois, sans qu’on y prête attention, entre le public et l’auteur, et qui. finissent par creuser entre eux. un fossé large et profond. Or je crois que mes derniers ouvrages ne sont pas à l’abri d’un semblable reproche. Certaines de mes idées fondamentales ont reçu une interprétation que je ne saurais admettre. On a notamment parlé de ma défection positiviste, de mes contradictions avec moi-même. Vous voudrez donc bien tolérer, Mesdames et Messieurs, que je consacre le reste de cette première leçon à une sorte de brève confession philosophique.
Avant tout, je veux dire quelques mots sur la manière dont je conçois la filiation et l’interdépendance des grandes idées générales qui animent et meuvent les philosophies.
Comme les religions qui les précèdent et les présagent, les systèmes des penseurs ne sont pas le produit d’une génération mentale toute spontanée. Ils ne sortent pas, inopinément, des cerveaux qui les enfantent. Encore moins naissent-ils, d’une façon directe, les uns des autres. Mais ils apparaissent ainsi que l’effet, la conséquence immédiate du savoir de leur époque, la synthèse, — jamais achevée ou complète,— d’une somme de connaissances essentiellement instable, presque toujours soumise aux fluctuations du grand mouvement idéologique connu sous le nom de progrès.
Les théories des philosophes confrontent les unes aux autres les notions, les idées les plus vastes des différentes sciences pour en tirer une figure, un tracé schématique de l’univers, sorte « d’instantané abstrait » du monde ne possédant qu’une valeur relative et fugace.
Mais les philosophies — et les théosophies — ne résolvent pas les « énigmes du mondé ». Cette tâche incombe aux sciences particulières, qui s’en acquittent par un labeur lent et pénible, en une suite indéfinie d’à-coups successifs.
En d’autres termes, le philosophe reçoit bien la torche, comme le