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cotonnière, des chantiers de construction de navires, des chemins de fer, des mines de charbon, des bâtisses, des approvisionnements alimentaires et de l’industrie du vêtement ? Si oui, espérez-vous également la socialisation du livre ? et en ce cas, croyez-vous que l’imprimerie de Kelmscott et que l’atelier de reliure de Doves seraient incorporés dans « l’Office de papeterie », avec M. William Morris et M. Cobden Sanderson comme employés salariés, sous les ordres d’un sous-secrétaire et d’un ministre[1] ? Êtes-vous partisan de la socialisation de l’église, de la chapelle, des salles de conférences, des services de la société éthique et de l’Armée du salut ? Si oui, êtes-vous aussi partisan de la socialisation des salles de théâtres et de concerts ? Vous proposez-vous seulement d’étendre l’entreprise de l’État à l’industrie ou de renforcer le monopole de l’État par la suppression de toute entreprise industrielle privée ? Ou bien monopoliseriez-vous dans certains cas et non dans d’autres, selon les circonstances ? Par exemple, si vous socialisiez la chirurgie et la peinture, puniriez-vous un dentiste pour avoir fait un contrat privé avec un citoyen pour arracher sa dent au prix d’une guinée, ou auriez-vous condamné Sir Edward Burne Jones à l’amende, pour avoir peint gratuitement le portrait de sa fille en dehors des heures réglementaires de travail ?

Je pourrais proposer des pages entières de questions semblables, mais celles-ci sont bien suffisantes pour démontrer qu’on peut diviser les socialistes en deux sections : d’abord les fanatiques qui sont prêts à sacrifier toutes les considérations de bien-être et de commodité plutôt que de dévier de la rigoureuse application de « leurs principes », même au risque de rendre leur croyance grotesque ; et ensuite les hommes plus ou moins pratiques, dont les opinions sur chaque sujet seraient aussi diverses que le sont, sur n’importe quelles questions, celles de la Chambre des communes[2].

L’unité du socialisme et l’existence d’une limite définie entre celui-ci et le progressisme ne sont de cette manière que de pures illusions. Cependant le cri de guerre du Manifeste Communiste : « Prolétaires de tous pays, unissez-vous ! » nous inspire toujours, et l’idée de la marche de millions d’ouvriers se ralliant aux puissantes colonnes de la Révolution nous remplit d’un courage insensé, mais au fond effectif et réel. Le double rempart d’illusions est maintenant complet. Le socialisme gagne ses disciples en leur représentant la civilisation comme mélodrame populaire, ou comme un pèlerinage vers la justice idéale, au travers de souffrances, d’épreuves et de luttes contre les puissances du mal, et en leur montrant le paradis au bout de la route ; en considérant

  1. La mort de William Morris survenue depuis que ces lignes ont été écrites, ne fait qu’ajouter plus de force à l’argument, puisqu’elle nous a prouvé notre complète dépendance de la libre initiative d’hommes éminents pour tout travail éminent.
  2. Je présente la chose ainsi, pour ne blesser les sentiments de personne ; cependant, je dois dire que je suis très sceptique, quant au fanatisme de nos amis qui sont déterminés à ne pas « compromettre leurs principes ». J’en soupçonne certains d’employer cette formule pour s’épargner la peine de trouver des réponses sensées de pratique, et l’humiliation de confesser que leur panacée ne guérit pas tous les maux. [Note Wikisource : Cette note, présente sur la page originale, n’est pas signalée dans le texte. La logique la placerait ici.]