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suffisante (c’est-à-dire la majeure partie des citoyens), parce que les théories, quand elles sont poursuivies assez loin, perdent leur forme originale crue et facile à comprendre, et deviennent noir seulement complexes en elles-mêmes, mais inintelligibles sans le secours d’autres théories. Prenons comme exemple la vieille théorie de la lumière qui avait pour elle la grande autorité de Newton. Elle représentait le spectre solaire (vulgairement l’arc-en-ciel) comme formé de trois couleurs primitives et de trois couleurs secondaires produites par l’empiétement et le mélange des premières. Ceci était une explication très facile : un enfant pouvait prendre des couleurs rouges, bleues et jaunes, et les mélanger pour former du violet, du vert et de l’orange. Au contraire, la théorie moderne du spectre solaire, qui a prévalu depuis Young, n’est plus aussi simple, et elle est incompréhensible pour celui qui ne sait rien de la théorie complète de la lumière. La conséquence de ceci, c’est que, jusqu’à présent, la notion des couleurs primaires et secondaires est restée la théorie populaire.

Le socialisme a pour base économique également deux théories, la théorie de la Rente et celle de la Valeur. La première semble simple à ceux qui s’en sont rendus maîtres ; mais elle n’est ni évidente, ni facile pour l’homme de moyenne culture ; nous voyons que des hommes très intelligents comme Adam Smith, Marx et Ruskin s’y sont trompés, bien que des écrivains beaucoup moins éminents s’en soient rendus maîtres et en aient déterminé la formule pour le bénéfice des générations futures. Personne, pas même M. Henry George, n’a réussi à la rendre populaire. La théorie de la Valeur a une histoire différente. Comme la théorie de l’arc-en-ciel, elle a commencé par être suffisamment simple pour être admise par l’auditoire le plus primitif, et elle a fini par devenir si subtile que sa vulgarisation est maintenant tout à fait hors de question.

En conséquence, l’ancienne théorie est la seule qui soit mise à profit par les socialistes. Elle a été adoptée par eux sous la forme que Karl Marx lui a donnée dans son premier volume du Capital. On a beau dire qu’elle est erronée et surannée ; que Karl Marx lui-même l’a déjà modifiée dans son troisième volume[1] ; si cette théorie était bonne, elle réfuterait l’existence de la « plus-value », au lieu de la démontrer ; qu’elle a servi maintes fois à diffamer la force économique du socialisme. Tout cela est vrai ; mais malheureusement un enfant même peut comprendre sa proposition élémentaire qui affirme que la valeur d’une marchandise consiste dans la quantité de travail qu’a exigée sa fabrication, et que cette valeur peut être évaluée sur le marché, tout comme le travail l’est habituellement, par heures et par journées. La théorie scientifique, au contraire, bien qu’étant basée sur ce fait, suffisamment simple et admissible, que les objets ont de la valeur parce que les gens en ont besoin (le travail étant ainsi la conséquence et non la cause de cette valeur), s’est montrée si difficile et si trompeuse quand on a tenté de la formuler comme règle qu’avant que Jevons ne s’en soit rendu maître nos économistes la déclaraient impossible ; même ils avaient l’audace

  1. Des renseignements sur ce sujet sont donnés dans la Démocratie sociale allemande, par Bertrand Rustel, Longmans (1890).