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homme un problème qui ne fait appel à aucune de ses passions, — soit un problème purement mathématique, — vous aurez beaucoup de difficulté à le lui faire comprendre. Ce problème ne l’intéresse pas suffisamment pour qu’il fasse un effort, même s’il a été obligé pendant des années, comme écolier et comme gradué, d’acquérir quelque habileté dans la science des chiffres. Il entreprend un travail de pensée pure ; là seulement où il est obligé d’y chercher sa vie, et encore où son éducation et ses capacités rendent le travail scientifique ou philosophique quotidien moins ennuyeux que le commerce ou un travail manuel quelconque. Prenez, par exemple, un patron de navire ordinaire. Il possédera tout juste assez de science pour lui permettre d’obtenir les certificats indispensables du « Board of Trade », pour la navigation scientifique. Mais demandez-lui de prendre quelque intérêt dans les sciences, comme Newton ou Galilée, ce sera en vain. Les mathématiques, les sciences économiques, physiques, métaphysiques, etc., sont pour lui ce qu’il appelle des sujets arides, c’est-à-dire qu’il ne veut pas les étudier a moins d’être payé, et même alors il ne le fera pas s’il peut gagner sa vie d’une manière plus aisée. D’autre part, sans aucun espoir de récompense, et sans que rien ne l’y oblige, il achètera et lira des livres d’histoire et de sermons, et il ira au théâtre et au service religieux à ses propres frais. Il est sensible à l’art et à la religion parce que ceux-ci font appel soit à ses passions et à sa sensibilité, soit directement à son plaisir physique devant la beauté de la forme, du son ou de la couleur ; et ce n’est qu’à la science qu’il est absolument réfractaire.

La science ne peut donc jamais s’adresser avec succès au peuplé si elle ne se déguise. Elle doit soit le corrompre par des promesses d’augmenter sa fortune, de prolonger sa vie, de guérir ses maux sans changer rien à ses habitudes malsaines, soit exciter son amour pour les aventures et les merveilles par des récits d’expéditions polaires, d’explorations de continents inconnus, ou par l’étalage stupéfiant des trillions de kilomètres de l’espace interstellaire. Ces moyens d’éveiller l’intérêt du public sont appelés la « vulgarisation de la science » et sont secrètement tournés en ridicule par les hommes de science (tout comme les hommes d’État ridiculisent en catimini leurs propres discours à leurs électeurs) qui ne les tolèrent que pour obtenir l’approbation et les fonds nécessaires à leur œuvre. Si Newton vivait encore, il serait beaucoup moins populaire comme « homme de science » que M. Edison, l’inventeur américain ; et M. Edison lui-même n’est pas célèbre comme inventeur, mais comme magicien.

Ne déduisez cependant pas de là que la race humaine soit divisée en un petit nombre d’hommes de science comme Newton, Kepler et Darwin opposé à un grand nombre d’hommes tout à fait incapables de connaissance scientifique comme des Smiths ou des Robinson quelconques. L’intelligence de Newton était si grande qu’il travaillait volontairement à la théorie mathématique des quantités infinitésimales, simplement pour s’exercer, tout comme un homme d’une grande force musculaire ferait volontairement de la gymnastique et battrait des records. Mais, quoiqu’un homme ordinaire ne soit pas plus un Newton qu’un champion athlétique, il possède cependant une certaine dose de pouvoir intellectuel en même