Page:L'Humanité nouvelle, année 4, tome 2, volume 7.djvu/133

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’histoire politique du siècle. Quand, comme nation civilisée, nous dépossédons et nous anéantissons une nation non civilisée, procédé qui, quoique souvent nécessaire et inévitable, serait qualifié de malhonnête et de meurtrier, s’il avait lieu entre deux citoyens civilisés, nous revêtissons ce procédé de l’illusion de la gloire militaire, de l’empire, du patriotisme, de la diffusion de la lumière, etc. Quand un ouvrier se vante d’être citoyen anglais et déclare qu’il ne supportera aucune impertinence de la part de l’empereur allemand, ou qu’il voudrait bien voir celui qui oserait toucher au trône anglais ou à l’église anglaise, il se réconcilie avec son esclavage réel par l’illusion du « Rule Britannia ». La plus folle des illusions flatteuses est celle trop commune par laquelle les hommes se croient moralement bien supérieurs à ceux dont les opinions diffèrent des leurs. Un socialiste qui pense que les opinions de M. Gladstone sur le socialisme étaient fausses, tandis que les siennes propres sont justes, est dans son droit ; mais un socialiste qui prétend que ses opinions sont vertueuses et celles de M. Gladstone vicieuses, celui-là viole la première des règles de morale et de conduite de tout pays démocratique : à savoir qu’il ne faut jamais traiter son adversaire politique comme un criminel moral. Cependant cette illusion vaniteuse, semble-t-il, est indispensable dans toute organisation politique d’à présent. Le discours d’un de nos éminents chefs de parti ; prend ordinairement la forme d’une explosion de vertueuse indignation contre les procédés de son adversaire. M. Chamberlain sermonne Sir William Harcourt ; Sir W. Harcourt sermonne M. Balfour ; M. Balfour sermonne M. Morley ; M. Morley sermonne Lord Salisbury, et ainsi de suite. Le même fait se produit, mais d’une manière plus étroite et plus mordante, entre le parti de l’église et les non-conformistes, entre les protestants et les catholiques en Irlande ; tandis que les socialistes, je regrette de devoir le dire, surpassent toutes les autres factions en affirmant chaque jour que leurs adversaires personnifiés par les « capitalistes » sont des voleurs, des brigands, des menteurs et des hypocrites, n’ayant aucune qualité pour racheter tant de défauts. Le parti du travail est généralement représenté par eux comme le crucifié entre les deux voleurs, image qui signifie, non seulement la vilenie du propriétaire et, du capitaliste, mais l’innocence martyrisée du socialiste, ainsi qu’il se le figure lui-même ; comme le bien tyrannisé par son adversaire le mal. Ceci est certainement une illusion extrêmement flatteuse. C’est malheureusement aussi une illusion nécessaire, qui ne peut donc pas être supprimée par un discours en trois points sur son manque de charité, sa folie et son inconvenance.

Qu’est-ce donc alors qu’une illusion nécessaire ? C’est le masque que doit revêtir la réalité avant d’éveiller l’intérêt d’un homme ou d’attirer son attention, ou même simplement d’être aperçue par lui. L’homme ordinaire est poussé à aimer ou à détester, à admirer ou à mépriser, ; à désirer la vie et à fuir la mort ; ces impulsions le font penser et travailler à faire le bien ou le mal, à donner ou à s’approprier, à créer ou à détruire, à produire ou à consommer, à maintenir ou à démolir, tout cela avec une énergie et un intérêt suffisants pour produire la civilisation telle que nous l’avons de nos jours. Mais, si vous présentez à cet