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décomposition sociale. La vie est une continuelle adaptation au milieu ambiant. Comme ce milieu change constamment, si l’organisme n’est pas assez plastique, s’il ne se modifie pas en même temps que les conditions extérieures, un jour arrive où la concordance entre l’organisme et le milieu n’est plus suffisante ; et, ce jour, la mort se produit.

Mais à quel moment et pour quelles raisons les forces conservatrices l’emportent sur les forces progressives ? Voilà ce qu’il est impossible d’expliquer. Les biologistes disent que l’accumulation des substances inertes produit la vieillesse. C’est parfait. Mais pourquoi l’organisme peut-il se débarrasser complètement de ces substances inertes pendant une période de la vie (la jeunesse) et pourquoi ne peut-il plus s’en débarrasser complètement pendant une autre ? « Pourquoi, dit M. Delage[1], une cellule ne peut-elle recevoir de la force et rendre du travail sans modifier sa substance ou en parcourant, dans ses changements, un cycle fermé qui la ramène exactement au point de départ ? C’est demander en quoi l’organisme vivant diffère de l’appareil mort. Nous ne pouvons pas aller jusqu’au bout de l’explication de la mort, parce que nous n’allons pas jusqu’au bout de l’explication de la vie. »

Pourquoi l’empire romain s’est-il dissout, par exemple ?

On dit, entre autres, que les chefs barbares, qui ont dirigé ses destinées à certains moments, étaient d’une grande ignorance. Ils n’étaient pas capables de se former une représentation de l’empire dans son unité intégrale. Par conséquent, ils ne pouvaient pas tenir à le conserver dans cette unité. C’est fort bien. Mais il est clair que les chefs barbares avaient la possibilité d’acquérir cette représentation. Qu’est-ce qui empêchait Clovis d’apprendre la géographie romaine comme Stilicon ?

De plus, quelle nécessité d’un Clovis ? Pourquoi les Romains pouvaient-ils recruter des légions innombrables au temps de Sylla et ne pouvaient-ils plus en recruter du temps d’Honorius ? On dit que les Romains au ve siècle de notre ère avaient horreur du métier de soldat. Mais pourquoi n’avaient-ils pas cette horreur au temps de Marius ? Toutes ces questions restent sans réponse. On peut facilement comprendre comment les sociétés s’accroissent et se développent, mais la raison véritable de la vieillesse et de la mort reste, jusqu’à nouvel ordre, aussi inexplicable en sociologie qu’en biologie.

On voit que la mort des sociétés se ramène en définitive à des transformations de types sociaux. Par conséquent, toute mort a pour corollaire une naissance. Un type ancien se déforme, mais par cela même, un type nouveau doit se former.

La Chine paraît une nation vieille par excellence. Cependant elle commence à être envahie par des courants européens. Dans quelques siècles d’ici, elle aura pu avoir abandonné complètement son type antérieur de civilisation pour en adopter un nouveau. Dans ce cas, la

  1. Op. cit., p. 771.