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ont pu se sentir Espagnols et ont pu repousser avec horreur et mépris toute solidarité avec les Aztèques barbares et cruels ; les Mexicains pourront, à un autre moment, ne plus se sentir solidaires de l’Espagne, mais des anciens autochtones de l’Amérique précolombienne.

Il faut donc nous résoudre à voir la nature telle qu’elle est, c’est-à-dire comme une arène de tourbillons perpétuels. Il faut renoncer à poser des limites exactes dans la vie des sociétés. Cependant, comme dit très bien M. Vilfredo Pareto, parce qu’il est impossible de dire à quel moment précis commence la vieillesse et finit la jeunesse, il ne s’ensuit pas que ni l’une ni l’autre ne soient des réalités objectives. On ne peut pas déterminer aussi, d’une façon mathématique, à quel jour les anthropoïdes sont devenus des hommes. Cela n’empêche pas, cependant, que nous ne ressemblions plus guère à nos ancêtres simiens. Au bout d’une longue période, les différences morphologiques, en s’accumulant, deviennent absolument incontestables. De même dans les sociétés. Nous pouvons prédire à coup sûr que, dans cinquante ou soixante siècles, il n’y aura plus ni Français, ni Allemands, ni Italiens, ni Russes, mais des nations nouvelles, parce que les différences qui sépareront ces nations de celles de nos jours seront devenues énormes.


III


Abordons maintenant la question à un autre point de vue. Pourquoi les formes vivantes ne peuvent-elles pas être éternelles ? En d’autres termes, d’où viennent la vieillesse et la mort des individus tant biologiques que sociaux ?

Le problème de l’arrêt de croissance et de la décrépitude a toujours beaucoup intéressé les biologistes. Bien entendu, si nous pouvions savoir, d’une façon positive, pourquoi les individus biologiques vieillissent et meurent, nous pourrions comprendre immédiatement pourquoi les sociétés tombent en décadence.

Voyons donc ce que nous apprennent les naturalistes.

M. F. Le Dantec a traité récemment la question de la vieillesse dans un petit volume intitulé : l’Individualité ou l’erreur individualiste[1]. Il y résume les recherches de ses devanciers et les condense sous forme de formules mathématiques fort élégantes. Il met très nettement en évidence que la vie est un ensemble de réactions chimiques, que l’être vivant opère sur les substances fournies par le milieu extérieur. Mais ces réactions ne peuvent pas s’opérer sans laisser un résidu inassimilable dont l’accumulation produirait, à la longue, des troubles dans le fonctionnement normal qui auraient pour résultat la vieillesse d’abord, la mort en dernier lieu.

D’autre part, les cellules vivantes élaborent une série de substances qui servent d’outillage à l’organisme, comme le bois des arbres, les coquilles des mollusques et les os des animaux : « Le corps des verté-

  1. Paris, 1898. Félix Alcan, éditeur.