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catarrhiniens (nous sautons plusieurs degrés de l’arbre généalogique de l’homme) ont-ils mérité de s’appeler anthropoïdes, les anthropoïdes, pithécanthropes, et ceux-ci hommes ? Voilà ce qu’il est impossible de déterminer. La nature ne fait pas de sauts. Les êtres organisés forment une échelle ininterrompue de la monère jusqu’à l’homme. Mais c’est nous qui en marquons les degrés. Il a plu à Réaumur de diviser toutes les températures possibles entre la glace fondante et l’eau bouillante en 80 degrés ; il a plu à Celsius de les diviser en 100. Mais les divisions de Réaumur, comme celles de Celsius, sont des produits de leur esprit. Elles n’ont pas de réalité objective. De même les 22 degrés, établis par Haeckel entre la monère et l’homme, sont subjectifs à ce naturaliste et nullement correspondants à quelque réalité externe, Haeckel aurait pu tout aussi bien établir 220 ou 2.220 degrés. La limite de l’espèce n’existe pas en dehors de notre esprit. La nature donne une toile sans fin. C’est nous qui la divisons selon nos idées.

Il en est en sociologie exactement comme en biologie.

De même que les dromathériums n’ont jamais cessé d’avoir une progéniture, les anciens Romains, par exemple, n’ont jamais cessé de faire des enfants. Mais les institutions et la culture des Romains se sont modifiées constamment, et la civilisation actuelle de l’Italie ne ressemble plus tout à fait à la civilisation romaine. Rome et l’Italie moderne sont-elles deux nations différentes ou une même nation ? Cela dépend du point de vue subjectif. Aux yeux des uns les différences entre l’Italie moderne et la Rome antique peuvent sembler assez considérables pour motiver la séparation ; aux yeux des autres, elles peuvent paraître trop faibles pour exclure l’unité. Il n’y a pas plus de critérium scientifique pour scinder les nations que pour scinder les espèces. La limite des nations dans le temps sera toujours impossible à déterminer, parce qu’elle est subjective. Et justement parce que ces limites sont impossibles à poser, on tombe dans la contradiction que nous avons signalée au commencement de ce travail.

Après les Romains parlons des Grecs. Les Hellènes du temps de Périclès et ceux de nos jours forment-ils une seule nation ou deux nations différentes ?

C’est aussi une affaire d’appréciation personnelle, dans une très forte mesure.

On pourrait peut-être indiquer un critérium un peu plus objectif en cette matière. Nous l’avons signalé dans notre Conscience et volonté sociales : c’est le sentiment. Si une nation se sent solidaire de ses ancêtres, on n’est pas en droit de dire qu’il y a organisme nouveau ; si la solidarité n’est pas ressentie, c’est que la scission définitive s’est opérée entre le passé et le présent et qu’il s’est formée une nation nouvelle. Certes les Tunisiens modernes ne se sentent pas Carthaginois. Donc Tunis et Carthage font deux nations séparées. Bien certainement ce critérium a une certaine valeur. Cependant il n’est pas absolu. Les hommes peuvent sentir une chose un jour et une autre le lendemain. Ainsi nous voyons poindre au Mexique un certain engouement pour les anciennes races américaines. Les Mexicains qui, à un certain moment,