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là depuis longtemps tournoyait sous les pas dans l’air froid. Les sept enfants s’agitaient dans l’espace comme une volée de pies et Mlle Irène courait redresser les dos et arrondir les bras.

— « Une, deux, trois — battez ! une, deux, trois — battez », et les sept moutards retombaient à terre les jambes écartées, pendant que mademoiselle Irène à force de crier s’emplissait la gorge de poussière.

Les enfants devaient valser deux à deux, et gênés, quand ils se tenaient éloignés l’un de l’autre, les bras raidis, tournant comme en rêve, Mlle Irène les interpellait : « Bien tournez… quatre, cinq ! Tournez encore petite Jette », et la danseuse s’acharnait contre le cadet de Jean Torsen et aussi contre la petite Jette, elle les faisait pivoter comme des toupies : « Bien, c’est très bien, petite Jette ».

La mère de petite Jette assistait curieusement à la leçon. Les paysannes, en effet, arrivaient, les rubans de leurs chapeaux attachés en des nœuds rigides, et assises le long du mur elles contemplaient, immobiles, leurs enfants, sans échanger une parole et les mains liées aux genoux. Mlle Irène appelait ces femmes « Madame « et leur souriait pendant les battements[1].

Le tour des Lanciers arriva. Les trois enfants de Jean Larsen se mirent à sauter aussitôt, le bout de leurs souliers regardant le ciel.

— La dame à droite, bien petite Jette ! trois pas à gauche, bien petite Jette !

Mlle Irène gémissait, geignait, épuisée par la danse et surtout par les commandements. Elle s’appuyait parfois au mur et ses tempes battaient cruellement son cerveau comme des coups de marteau. Les yeux de la vieille danseuse brûlaient irrités par toute cette poussière. Longtemps encore les sept élèves continuaient à sautiller en tournant au milieu de la salle dans une demie obscurité.

Lorsque Mlle Irène revenait de son cours de danse, elle enveloppait d’un mouchoir sa tête bouclée, et malgré cette précaution elle était toujours aux prises avec un éternel corysa. Aussi pendant ses loisirs, demeurait-elle presque toujours placée devant un bol d’eau chaude, dont elle aspirait la vapeur par le nez, afin de combattre les progrès du mal.

On découvrit un musicien, pour accompagner Mlle Irène en ses leçons —, c’était un M. Brodersen qui jouait du violon. Aussitôt deux nouveaux élèves plus instruits s’inscrivirent. Et tous sau-

  1. Paysannes et femmes du peuple ne sont pas appelées « Madame » en Danemark. (Note des traducteurs).