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Comment sortir de cette contradiction ?

Comme toujours, pour comprendre la nature véritable d’un phénomène en sociologie, il faut s’adresser à la science antécédente : la biologie.

Ici aussi, nous observons le même fait : l’immortalité de la substance vivante et la mortalité des individus vivants.

La substance protoplasmique est immortelle. Elle existe depuis une époque dont nous pouvons à peine concevoir l’antiquité. Les plus anciennes couches géologiques connues (et combien que nous ne connaissons pas encore !) portent des traces de créatures autrefois vivantes. Quant à l’avenir, la matière protoplasmique durera encore sur notre planète un espace de temps pour ainsi dire sans limite.

Ce qui meurt en biologie, c’est l’individu. Or l’individu est une forme déterminée, un groupement particulier de substances protoplasmiques. rien de plus. Un individu est un ensemble de trajectoires, si l’on peut s’exprimer ainsi. Certains atomes accomplissent, à un moment donné, une série de mouvements dont la résultante apparaît pour notre œil sous l’aspect de Pierre ou de Paul. À un autre moment, ces atomes parcourent des trajectoires différentes et Pierre et Paul cessent d’exister. Mais ces atomes ne se détruisent pas et, après des combinaisons sans nombre, quelques-uns d’entre eux peuvent se retrouver dans la substance de quelque descendant de ce même Pierre et de ce même Paul[1].

Ces faits nous tirent de la contradiction que nous signalions tout à l’heure. Le phénomène social est identique au phénomène biologique. Le protoplasme est immortel, mais les individus meurent ; de même les individualités sociales meurent, mais leurs éléments constituants (les hommes qui les composent), leur protoplasme, si l’on peut s’exprimer ainsi, est immortel, parce qu’il se renouvelle constamment. En biologie, comme en sociologie, mort signifie la disparition d’une forme ; dans la première science d’une forme végétale ou animale, dans la seconde d’une l’orme sociale.

Or l’individualité sociale est tout aussi bien un ensemble de trajectoires déterminées que l’individualité biologique.

Considérons d’abord cette dernière. Un ovule vient d’être fécondé. La cellule initiale donne naissance à deux cellules nouvelles, puis à quatre, puis à huit et ainsi de suite. Selon l’espèce à laquelle appartient le germe, ces cellules vont se grouper d’une façon déterminée et produire soit un chêne, soit une huître, soit un homme. Or que signifie se grouper d’une façon déterminée ? Cela signifie parcourir certaines trajectoires et non certaines autres. Le fait que toute forme se réduit

  1. La vie est un échange perpétuel de matière entre l’individu et le milieu. À chaque instant elle suppose donc un changement de forme, si imperceptible qu’il soit. Certaines cellules du corps humain se transforment pendant la vie en substances inorganiques, certaines autres se transforment de cette manière après la mort. Mais il est des cellules qui se conservent sous la forme organique (les zoospermes et les ovules, par exemple) et assurent la descendance de l’individu et l’immortalité de la substance vivante.