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dessus la Méditerranée : on a vu des alouettes s’abattre ainsi du ciel avec des bandes de grues, après avoir traversé la mer[1] et qu’elles aient été aidées ou non, il est certain qu’elles doivent au moins avoir été accueillies avec bonté pour le grand voyage. Combien donc contraire à toute vérité est l’assertion des pessimistes qui parlent du monde animal comme s’il consistait en carnivores se déchirant à coups de griffes et de serres et buvant le sang de leurs victimes[2]. La meilleure preuve que la lutte pour la vie n’est pas la loi par excellence et que l’accord l’emporte de beaucoup dans l’histoire du développement des êtres nous est donnée par ce fait que les espèces les plus heureuses dans leur destinée ne sont pas les mieux outillées pour le vol et le meurtre, mais au contraire celles qui, avec des armes peu perfectionnées, s’entr’aident avec le plus d’empressement : ce sont non les plus féroces, mais les plus aimantes.

On peut en dire autant pour les primitifs ou « sauvages » parmi les hommes, car les témoignages de la pré-histoire, de même que l’étude des populations contemporaines nous montrent un très grand nombre de tribus vivant en paix et même dans l’harmonie d’une possession commune de la terre et d’un travail commun : les exemples de peuplades guerrières outillées seulement pour le combat et vivant exclusivement de déprédation sont assez rares, quoique souvent cités. Il est de morale constante parmi les contribules que l’individu doit, si la disette se fait sentir, se mettre à la ration pour que les provisions puissent durer plus longtemps. Souvent les grands se privent pour les petits, loin d’abuser de leur force.[3] Le fait capital de l’histoire primitive, telle qu’elle se présente à nous dans presque tous les pays du monde, est que la gens, la tribu, la collectivité est considérée comme l’être par excellence, à laquelle chaque individu doit son travail et le sacrifice entier de sa personne. L’entr’aide est si parfaite qu’en mainte circonstance elle cherche à se produire même par delà la mort : ainsi, dans les Nouvelles-Hébrides, quand un enfant mourait, la mère ou la tante se tuait volontiers pour aller soigner l’enfant dans l’autre monde[4].

Même le meurtre ou plutôt la mort volontaire des vieillards qui se pratique en divers pays, — ainsi chez les Batta de Su-

  1. L. Buxbaum, Der Zoologische, 1886, p. 133.
  2. Pierre Kropotkin, Nineteenth Century, nov. 1890, p. 702.
  3. Bulletin de la Société d’Anthropologie, 1888.
  4. Gill, dans Waitz et Gerland, Anthropologie, p. 641.