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tagion, mais elle n’en est pas moins réelle et l’imitateur ne s’en trouve pas moins modifié dans tout son être. Les imitations conscientes ont une part moins importante dans la vie, mais encore très considérable, puisque l’homme peut être entraîné à imiter d’autres hommes par toutes les facultés de son être, soit par sympathie quand il s’agit d’un ami, soit par obéissance à l’égard d’un maître, ou par fantaisie, par amour de la mode ou par le désir et la compréhension raisonnée du mieux[1].

La plupart, sinon toutes les fonctions d’ordre intellectuel, le langage, l’écriture, le calcul, la pratique des arts et des sciences supposent la préexistence et la culture de l’aptitude à l’imitation : sans le talent d’imiter, il n’y aurait point de vie sociale ni de vie professionnelle. La littérature primitive n’a-t-elle pas commencée surtout par la danse, c’est-à-dire par des pantomimes et par la musique ?[2] Et la première forme de la justice, c’est-à-dire le talion : « Œil pour œil, dent pour dent ! » n’est-il pas imitation pure ? Tout le code des lois ne fut jadis autre chose que la coutume : on était convenu tacitement de répéter sans cesse, sous la forme antique, ce qui avait été fait depuis un temps immémorial. La règle des convenances sociales est de rendre visite pour visite, repas pour repas, présent pour présent, et la morale même est née dans son essence de l’idée du devoir, du paiement, de la restitution d’un service à l’homme, à un groupe collectif, à l’humanité.[3]

L’imitation se confond en beaucoup de circonstances avec l’aide mutuelle, ou plus brièvement l’entr’aide, qui fut dans le passé, qui est encore de nos jours et qui sera dans tous les temps le principal agent du progrès de l’homme. Lorsque dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, Darwin, Wallace et leurs émules eurent si admirablement exposé le système de l’évolution organique par l’adaptation des êtres à leur milieu, une foule de disciples n’envisagèrent que le côté de la question développé par Darwin avec le plus de détails et se laissèrent séduire par une hypothèse simpliste, ne voyant dans le drame infini du monde vivant que la « lutte pour l’existence ». Cependant l’illustre auteur d’Origin of Species et de Descent of Man avait aussi parlé de l’« accord pour l’existence » ; il avait célébré les « communautés qui, grâce à l’union du plus grand

  1. G. Tarde, Les Lois de l’Imitation.
  2. Letourneau, passim.
  3. Guibert, Société d’Anthropologie de Paris ; séance du 18 iv 1893.