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d’esprit, se disait mélancoliquement Vanka Caïn en contrôlant sa recette de la journée. Ça ne m’eut pourtant pas coulé, continuait-il, de lui offrir un petit verre. En effet, qu’est-ce qu’un petit verre d’alcool ? Rien, on s’en fiche. Et maintenant, j’en paye les conséquences.

Mais aussitôt un démon s’agitait en lui, l’incitant à ne pas céder devant Bachka.

— Eh quoi ? Après tout, on saura bien se passer de lui. Les marais ont assez de diables pour remplacer cet homme !…

Toujours poli, affable en apparence, il gardait ses anciennes manières d’agir envers Bachka, mais il ne pouvait dissimuler le revers de la médaille et il n’attendait que le moment propice pour s’en venger. Malgré la recrudescence des affaires qui précède ordinairement les fêtes de Noël, Vanka Caïn se ressentit cruellement du vide fait autour de son comptoir, ce qui contribua à affermir dans son esprit cette idée de vengeance. Et pour comble de misères, un autre cabaret venait de surgir à côté de lui, ce qui ne pouvait être que l’œuvre de Bachka.

— N’est-ce pas ce qui arrive toujours ? disait Vanka Caïn en s’épanchant auprès de ses clients et en prenant l’air intéressant d’une victime. Nous avons un dicton populaire qui dit : « Ne donne asile à personne si tu ne veux pas avoir d’ennemis. » C’est parfaitement vrai. Il a été bien aise de me trouver pour manger chez moi quand il n’avait pas le sou et maintenant il me cherche chicane. Dans le temps tous les paysans se réunissaient ici comme dans une officine, c’était une véritable succursale des tribunaux : où sont-ils à présent ? C’est rasé, adieu mes amis !… La machine est arrêtée comme si son ressort principal était cassé ; et tout cela pour me récompenser de mes bienfaits, oui — ajoutait Caïn sur un ton sournois et rageur.

Il en était de même des habitués de la salle réservée qui ne se sentaient plus à leur aise. Leurs propres affaires ne marchaient pas sans Bachka, il leur manquait son esprit inspirateur. Et dans leur pensée, ils rejetaient tous leurs insuccès sur leur ex-ami qui n’y était pour rien. Kornilytch, après avoir perdu au billard parce que sa main commençait à le trahir et son œil à s’affaiblir, en accusait Bachka. Trouba, ayant reçu des coups de poing dans une auberge pour son fameux sou — c’était encore la faute à Bachka. Plus d’une fois l’inoffensif