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Les deux amis aimaient à passer ces longues veillées dans la chambre de la malade près du foyer clair, lorsque le bois pétillait gaiement dans le poêle et qu’une douce et bienfaisante chaleur se répandait dans le sous-sol. Assis l’un près de l’autre ils s’abandonnaient, alors, en véritables philosophes, à une contemplation muette.

— Quelle chose curieuse que le feu, disait Bachka d’un ton méditatif, en contemplant le jeu des flammes. C’est un élément de la nature, un symbole de la purification, le prototype du foyer domestique, la plus grande découverte de l’homme préhistorique, le plus actif agent que possède le travailleur moderne.

Médaillon citait des auteurs grecs et latins qui donnent des notions sur l’origine du feu et Bachka se plongeait dans une rêverie et repassait dans sa mémoire les souvenirs de sa jeunesse. Il ne conservait qu’une vague image de son père et de sa mère, tous deux enlevés par l’épidémie cholérique qui sévissait en 1848. Son oncle le mit au séminaire et depuis lors, Bachka se vit abandonné à lui-même. Ce qu’il eut à souffrir pendant les douze années qu’il passa au séminaire !… La faim, le froid, toutes les privations, toutes les misères possibles formèrent son caractère et en firent un véritable Bachka. Sous quels différents aspects n’a-t-il pas apparu pendant son séjour dans cette sorte de purgatoire ! Ses différents services au presbytère et jusqu’à sa fonction de basse chantante dans les chœurs de la cathédrale de l’archevêché !… Plus tard il se voit employé au consistoire, dans la régie des alcools, dans la police, dans les mines d’or, à la municipalité… Il entend encore son professeur lui dire : « — Tu perdras la tête, mon ami, tu es trop précoce et un jour tu seras entraîné par la propre force de ton orgueil qui ne connaît pas de bornes. »

En effet, il y avait quelque chose d’anormal dans l’esprit de Bachka. Doué de multiples talents, avec ce pli philosophique qui lui était propre, très ingénieux, il a essayé de toutes les carrières, il a fait tous les métiers. De prime abord, il est sympathique à tout le monde, mais il ne tarde guère à s’aliéner les gens et successivement il abandonne emplois et métiers pour courir dans la rue qui le fait vivre.

Dans ses moments de méditation Bachka voyait bien qu’il glissait sur une pente rapide où fatalement il tomberait un jour, l’énergie de réagir sur lui-même lui ayant constamment