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grands talents d’administration et à la perspicacité de Vanka Caïn lui-même. Jadis, ce cabaret avait connu de beaux jours ; mais ensuite, il était tombé en décadence et Vanka Caïn le prit au moment le plus critique de son existence. Par ses talents d’administrateur, son flair de cabaretier, il sut le relever, ce dont il était très fier. Ses prédécesseurs avaient échoué parce qu’ils n’avaient pas son astuce. Car, il ne faut pas s’y tromper, le métier de marchand de vin, si simple en apparence, n’est nullement facile et demande un certain tact diplomatique. Bien entendu la comptabilité embrouillée de ce commerce est au premier plan et exige une habileté toute spéciale à cause de ses côtoiements délicats avec la police et la régie, mais le plus important est de conserver une parfaite cordialité dans les rapports avec la clientèle multiforme.

Lorsque Vanka Caïn prit la direction de l’établissement, Bachka lui fit cette sorte de conférence.

— C’est ça… oui… fais-toi bien à l’idée que nous ne sommes perdus qu’à vos yeux de cabaretiers ; que dans notre conscience, nous ne le sommes que provisoirement. Le dernier des ivrognes garde au fond de son cœur une profonde conviction qu’il ne s’abandonne à ce vice que momentanément, mais qu’il se relèvera et reprendra une vie plus honorable que ne la mènent ceux qui n’ont jamais bu.

— Comme de juste. Chacun de vous en buvant son petit verre espère en finir et se dit à lui même que ce sera le dernier, ajouta Vanka sur un ton de philosophie. Tout cabaretiers que nous sommes, nous savons aussi voir les choses.

— Très bien… Il faut donc que tu comprennes ceci : remarque le bien, on ne peut s’enrichir et retirer de gros bénéfices qu’en exploitant les malheureux : ce ne sont pas les richards qui viendront grossir ta caisse, ce ne seront que de pauvres diables comme nous. Je te dis tout de suite pourquoi… Primo, les richards sont peu nombreux ; secondo, le riche fait toutes ses provisions en gros, en temps opportun, par conséquent à bon marché, tandis que le pauvre vit au jour le jour, dépensant au fur et à mesure ce qu’il gagne, achetant en détail ce qu’il vous paie le double. Et dans vos mains habiles, les petits sous amassés ne tardent pas à former un capital… Trouves-tu tout cela juste ?… Donc, note-le bien… Si tu étais versé dans les mathématiques, je pourrais t’expliquer encore ce que c’est