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et parvint à les dégager. Il continua son chemin en faisant claquer ses semelles sur les planches qui formaient le trottoir.

Pour arriver à son but, il avait encore une longue distance à franchir. Après une demi-heure de cette marche pénible, à bout de force, il se sentit défaillir.

Son énergie l’abandonnait et un instant il eut l’idée de retourner se réfugier sous le toit hospitalier de « Plevna » ; il regrettait amèrement d’avoir agi trop à la légère en le quittant. Mais il triompha de cet instant d’abattement et résolument se ramassa sur lui-même pour concentrer sa propre chaleur et garantir sa nuque de la neige qui lui tombait dans le collet. Comme un vrai loup il se mit à courir. Le voilà devant une auberge tenue par un certain Zoboune, qu’il fréquentait parfois ; il ne jugea pas opportun d’y faire une halte. Préoccupé d’un tout autre objet, il se hâtait d’arriver à son but et il avait encore à peu près une demi-verste à parcourir.

Les belles maisons en pierre qui appartiennent aux riches commerçants de Propadinsk, se groupent au centre de la ville ; autour, de tous les côtés, s’éparpillent les constructions en bois ; enfin vers le périmètre de la ville, sur les confins de ses faubourgs, s’étalent les hameaux composés des plus misérables huttes qui rappellent par leur assemblage bizarre des nids d’hirondelles collés les uns sur les autres.

La maison de Lomotine, marchand de bétail en gros, est la seule construction en briques du quartier et forme un contraste singulier avec son entourage ; c’est vers cette maison que se dirige notre Bachka. Lomotine, autrefois simple paysan, enrichi dans le commerce, est mort tout récemment ; ses héritiers célèbrent ce matin une cérémonie commémorative, la veuve du défunt va généreusement distribuer l’aumône et on peut espérer une bonne aubaine.

Bachka avait donc une raison bien fondée de s’y rendre pour attraper les quelques sous dont il n’avait grand besoin que pour boire.

Tendre la main… fallait-il qu’il soit réduit à toute extrémité pour en arriver là comme aujourd’hui !

Une foule considérable se pressait déjà devant la maison de la veuve lorsque Bachka y parvint. Devant le portail, le concierge, un vrai bouledogue, mettait une grosse barre de bois en travers de la porte.