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geaille, riposta Bachka sur un ton de mépris, sans cesser d’arpenter la pièce à pas furieux… Dis donc, tu n’as pas rencontré Ckocklik ? ajouta-t-il.

— Si. Mais pour lui aussi c’est un mauvais moment.

— Allons-nous, par hasard, nous laisser mourir comme ça ?… Voyons, Trouba ! Essayons de trouver un joint, dit le Hérissé de sa voix doucereuse. Va chez Caïn, mon vieux ; peut-être se laissera-t-il faire… Qu’en dis-tu ?… Tu lui expliqueras la chose, n’est-ce pas ?…

Cette proposition rendit Trouba rageur. Il enfonça les doigts dans ses cheveux, se frotta la nuque comme pour en tirer un expédient, cligna plus fort son œil louche, puis secoua la tête négativement.

Un pénible silence accueillit cette mimique. Et l’apparition de Ckocklik lui-même ne put tirer ses amis de leur accablement.

Le nouvel arrivé était très jeune encore, de teint verdâtre, avec des yeux caves et luisant de fièvre comme tous les phtisiques. Sans mot dire il s’affaissa en un coin, encore essoufflé de sa course. On n’y prit pas garde. Et, pendant un moment, la tristesse et l’abattement poignèrent le petit groupe, comme il arrive aux gens qui, tout d’un coup, se voient égarés dans une forêt noire.

Aux moments critiques, c’était d’ordinaire l’ingénieux Bachka qui sortait ses amis de peine et trouvait l’issue. Mais lui-même, aujourd’hui, se laissait gagner au marasme.

À côté, dans la grande salle, le choc des verres se mêlait aux soupirs d’aise exhalés par les buveurs chaque fois qu’une nouvelle goutte du délicieux breuvage mouillait leur gorge. Et cette émouvante mélodie, ce bourdonnement spécial d’une foule devant un comptoir de cabaret, envahissait bruyamment le salon réservé.

— Y mettent-ils assez d’entrain, les canailles ! fit Bachka, les dents serrées en ramenant sur ses yeux sa casquette crasseuse, déformée et aplatie sur ses cheveux comme une crêpe du Mardi-Gras.

— Eh bien, camarades, restez-là ; je vais essayer… Peut-être aurais-je la chance…

À peine Bachka eut-il disparu que tous les amis se ranimèrent et chacun de crier : Allez, notre Bachka !… c’est en-