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ville de Propadinsk[1] semble vouloir se dissoudre en ce marais boueux. C’est comme si le ciel eût absorbé toutes les eaux sales de la ville pour les répandre à flots dans les rues.

— C’est dégoûtant ! fit Bachka de sa voix cuivrée en regardant la rue à travers les carreaux embués du cabaret.

Dehors tout se noie dans un brouillard épais. Des flocons de neige fondent dans l’air et tombent doucement sur le sol en le détrempant de plus en plus. En un instant la neige collée aux vitres intercepte le jour et plonge le cabaret dans une pénombre.

— Voilà ce que le bon Dieu nous envoie, dit sur un ton tranquille le patron de Plevna, un gros moujik, le visage troué de petite vérole, vêtu d’un veston de velours.

Il se nommait Ivan Vassilievitch, mais souvent, par colère, ses clients l’appelaient plus brièvement Vanka Caïn.[2]

— Hein, Bachka ! qu’en dis-tu ? En voilà-t-il une affaire !

Bachka ne répondit pas au cabaretier. Il tendit ses longues jambes en avant, découvrant ainsi ses chaussures éculées, débris de vieilles bottes veuves de leurs tiges. S’accoudant sur son bras velu, il laissa retomber sa tête sur sa poitrine. Et

    milieu dans lequel ils sont venus au monde, de par l’anémie, la tuberculose, la nervosité même dans les classes aisées, que leurs parents leur ont transmises.

    Voilà quels sont les héros de Mamine.

    Quelques-unes de ses esquisses sont consacrées à la jeunesse des écoles, à peine sortie de l’enfance et dont l’esprit est déjà agité par les différents problèmes que pose la vie. Mais, où l’auteur apparaît en maître, c’est lorsqu’il dépeint la classe parasite de la petite bourgeoisie encore naissante en Russie, avec les instincts rapaces et accapareurs, la cupidité et la dépravation morale de ses représentants, type prédominant dans les carrières et les mines d’or de l’Oural et de la Sibérie.

    La critique russe a depuis longtemps déjà reconnu en Mamine Sibiriak un écrivain de grand talent. Voici par exemple en quels termes M. Skabitchevski, l’éminent critique, a apprécié cet écrivain dans un article qu’il lui a consacré l’année dernière.

    « D. N. Mamine a toutes les chances de prendre place parmi les romanciers européens de premier ordre ou du moins de dominer l’esprit et le cœur de ses compatriotes. C’est un écrivain doué d’un très sympathique talent ».

    Et plus loin, mettant en parallèle le talent du romancier russe avec celui de M. Émile Zola, il ajoute :

    « Par la force de son talent, Mamine ne le cède en rien au célèbre romancier français : il le dépasse plutôt. Quant à l’abondance, dont ces deux romanciers font preuve dans leurs écrits, il serait même ridicule de comparer Zola à Mamine. »

    M. S.

  1. Nom de fantaisie formé du verbe : être perdu, périr. — Trad.
  2. Diminutif de Jean dans un sens méprisant. — Trad