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de ces images pour toute leur vie et, la guerre finie, le prince disparu, il leur en restait une vision du Paradis et de l’art des hommes plus durable peut-être que les horreurs auxquelles ils avaient assisté.

Nous sommes, en ce moment, ces badauds. Les hasards de la guerre ont amené à Paris, où elles n’auraient jamais dû venir, les tapisseries tissées il y a quatre et cinq cents ans, pour embellir le chœur de la cathédrale de Reims. À l’approche des Barbares, elles ont été enlevées et mises en lieu sûr. Le bombardement, qui a fait un petit tas de poussière de la Reine de Saba, de l’Ange compagnon du saint Nicaise et de tant d’autres figures du portail, ne les a pas touchées. Car c’est parfois ce qui est le plus fragile qui est le moins éphémère. Et les voici, maintenant, au Petit-Palais, dans la pleine lumière des Champs-Élysées, entourées des feuilles vivantes des marronniers visibles à travers les hautes baies de cristal, au milieu de toutes les activités d’un peuple moderne. On ne les avait jamais si bien vues. Beaucoup de leurs figures, soupçonnées plutôt qu’aperçues, ne livraient leurs secrets qu’à de patients archéologues. C’étaient des fantômes de chefs-d’œuvre. Et, en plusieurs endroits, leurs couleurs éteintes, leurs lignes tremblantes, leurs laborieux et malchanceux rapiéçages en font encore des énigmes. Mais leur charme voilé s’accorde admirablement à nos sentiments et à nos méditations présentes. Leurs cou-