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Le soldat, lui-même, se détache fort peu sur le milieu coloré ; tous les progrès tendent à l’y confondre, « déguisé en invisible » ; et mieux encore que les progrès, la boue, — la boue de la Woëvre surtout, — l’a enduit d’un tel masque terreux, qu’on croirait voir des statues d’argile ou des « hommes de bronze » en mouvement. Nous voilà loin des dolmans, des pelisses, des brandebourgs, des flammes aurore ou jonquille, des kolbacks, toutes les bigarrures dorées, étincelantes du premier Empire, qui semblaient destinées à éblouir l’ennemi et donner à la mort un air de fête. Il n’y a même plus les couleurs vives et franches, les capotes bleues, les pantalons rouges, les galons d’or, qui faisaient tache sur le fond du champ de bataille et permettaient à l’œil de suivre les évolutions. Le moraliste et le philosophe peuvent s’en réjouir, — voyant combien le soldat a gagné en sérieux, en dignité, en simplicité, — mais le peintre n’y trouve plus son compte. Les actions sur le champ de bataille sont aussi brillantes qu’autrefois : elles ne brillent plus aux yeux, et c’est une file de fantômes monochromes, qui s’enfoncent dans un horizon indiscernable, à travers une atmosphère fumeuse, vers un but lointain.

Si, du moins, chacun d’eux faisait des gestes expressifs de la lutte, l’artiste retrouverait et restituerait, dans le groupe, un microcosme de la bataille. Mais cela n’arrive guère. La bataille est faite de tant d’éléments différents, son succès est dû à