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sur tout ce théâtre empêche une silhouette humaine de s’y aventurer : c’est le no man’s land.

Dans le ciel, de petits nuages artificiels, des flocons blancs qui parfois se rejoignent en une longue vapeur, çà et là, une lourde colonne de fumée violacée ou safran, debout et immuable comme un champignon charnu, — la fumée d’une explosion, et plus haut, la flèche ailée des avions, ou la chenille de la « saucisse », avec sa queue de petits parachutes. Tout cela mobile, poussé par le vent ; mêlé aux nuages vrais, traversé par la lumière naturelle, enflammé par le soleil, forme un spectacle infiniment plus vivant, plus varié et plus coloré au-dessus qu’au-dessous de la ligne d’horizon.

Le regard, en s’abaissant sur la terre, ne retrouve que le vide ou des détritus amorphes et inorganiques. Là où fut un bois, un jeu de quilles ébréchées et pointues ; là où fut un village, un semis de jonchets, là où fut un fort, une moraine de décombres : au premier plan, le réseau vermiculé des tranchées, reconnaissables à leurs bourrelets de terre, l’entrée de quelque casemate s’ouvrant comme une gueule de four, des sacs de terre gris empilés, des rondins assemblés, quelque chose au ras du sol qui évoque des isbas enterrées ou des tanières, parfois, à l’arrière, des habitations improvisées faites des matériaux les plus hétéroclites, auprès desquelles les maisons des zoniers sont des chefs-d’œuvre de symétrie : — tel est le décor que