Page:L'Art pendant la guerre 1914-1918.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.

LES RUINES


Ce mot de « ruines », quand on le prononçait avant la grande coupure historique de 1914, évoquait des choses patinées par le temps, sanctifiées par le respect, témoins de générations disparues. C’étaient des visages d’aïeules qu’on n’avait jamais connues jeunes et à qui l’on n’imaginait pas une autre beauté. Les cicatrices paraissaient des rides, les brèches, dans les longues lignes architecturales, des élégances. De l’herbe, montée peu à peu, noyait les décombres, des feuilles s’abaissaient sur les mains mutilées des statues. La mousse y jetait sa fourrure verte, le lichen son voile doré. Les surplombs des sommets, entraînés, jour à jour, par les intempéries ou l’action dissolvante des racines, étant peu à peu tombés, les masses avaient pris, insensiblement, une forme pyramidale, la plus stable de toutes, et, ainsi, n’avaient plus l’air de choses détruites, mais bien de choses bâties telles quelles « pour le plaisir des yeux ». D’ailleurs, une vie nouvelle y était née, de tous les germes apportés par l’oiseau ou le vent qui passe, et y croissait sous la protection des vieilles pierres encore capables de ce service, et, pourvu que les archéologues ne vinssent pas trop les gratter, rien n’y évoquait l’idée de la mort.