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Au tout début de l’année 1976, les dirigeants de l’ERAP furent approchés par les représentants d’un important groupe financier européen qui attirèrent leur attention sur une invention scientifique susceptible de bouleverser la recherche pétrolière.

Un inventeur belge, le Comte Alain de VILLEGAS, avait mis au point des appareils permettant de « voir » sous terre, jusqu’à plusieurs milliers de mètres de profondeur, et d’identifier à coup sûr des matières d’une importance économique considérable : gaz, pétrole, eau, certains minerais. Aucune précision n’était donnée sur la nature des phénomènes physiques ainsi appréhendés, et la théorie scientifique susceptible de les expliquer. A plus forte raison, on ne pouvait fournir le moindre renseignement ni sur la technologie mise en œuvre, ni sur les appareils utilisés.

Mais le groupe en question, qui finançait les travaux et essais de M. de VILLEGAS depuis 1969, affirmait avoir obtenu des résultats réellement surprenants d’abord dans la recherche de l’eau, en 1972-1973 (en Espagne), puis dans la prospection des hydrocarbures. En 1974-1975, des campagnes aériennes s’étaient déroulées en Europe, au Brésil, en Afrique du Sud. On avait décelé des possibilités de « gisement » en Irlande, en Suisse.

En Afrique du Sud, le « gisement » découvert par le nouveau procédé n’avait malheureusement pu être atteint par un premier forage : les évaluations de profondeur n’étaient pas encore assez précises. Mais l’inventeur avait donné d’autres preuves de la valeur de son procédé. Le résultat (négatif) de deux forages qui étaient en cours dans un autre périmètre avait été annoncé l’avance par M. de Villegas ; des tests sur l’importance de certaines mines d’or, dont l’une faisait encore l’objet d’estimations, s’etaient révélés exacts ; enfin, une autre expérience sur une zone de stockage souterrain d’hydrocarbures avait été jugée réussie par les experts gouvernementaux Sud-africains qui étaient seuls à en connaître les données.

Aussi proposait-on à l’ERAP de faire un essai, sans bourse délier, et de se décider au vu des résultats.

Pourquoi s’adresser à une entreprise pétrolière extérieure ? C’est que l’invention paraissait sinon totalement au point, du moins suffisamment établie, et que le moment était venu de passer à une exploitataion à grande échelle, avec les moyens humains et matériels, les connaissances techniques, le métier des professionnels de l’industrie pétrolière.

Pourquoi l’ERAP ?

Maître Jean VIOLET, ancien avocat au barreau de Paris (1), conseil juridique du groupe financier parrain, et qui était de longue date en relation avec l’ERAP, faisait valoir que la chose n’allait pas de soi, que les divergences existaient au sein de ce groupe (où figuraient des intérêts italiens, espagnols, etc.), mais qu’il y avait précisément une chance à saisir pour la France. M. Antoine PINAY, appelé en renfort, c efendait la même cause. Il fallait faire vite, sous peine de voir l’invention partir vers d’autres pays. On parlait d’Exxon.

Si l’essai était juge satisfaisant par les experts de l’ERAP, on fonderait une société que le président de l’Union des Banques Suisses (2), M. Philippe de WECK, personnalité de premier plan, présiderait en personne.

L’ACCORD DU 28 MAI 1976 ET SON APPLICATION

LES FAITS — EXPOSE CHRONOLOGIOUE

Le président de l’ERAP, M. GUILLAUMAT, fit préparer dans le plus grand secret un programme d’expérimentations dans le Sud-Ouest par une équipe restreinte, de haut niveau, comprenant M. Gilbert RUTMAN, Directeur Général de la branche Exploration-Production, M. Paul ALBA, Directeur de l’informatique, M. Maurice JEANTET, Directeur de la Mission France (Exploration-Production ) et M. Claude FABRE, Directeur du Domaine Minier.

Les premières démonstrations

Le programme de reconnaissance aérienne prévoyait le survol de sites où l’ERAP connaissait l’existence de petits gisements d’hydrocarbures : — LANNEMEZAN (gaz) — BONREPOS (huile) — CASTERA Lou (huile) — BAZORDAN (gaz)

Peur le procédé de détection à terre, deux sites furent présentés à l’épreuve : — Lannemezan, « forage à grande profondeur ayant présenté un important incident, entraînant une bifurcation » ; — Bonrepos, « gisement composé de deux couches d’huile superposées ».

Les essais auxquels l’ERAP donna le nom de code « opération Aix » (3), se déroulèrent entre le 30 avril et le 7 mai 1976.

Le dispositif au aéroporté A — que les inventeurs baptisèrent « Delta » — permettait la prospection à grande altitude (5 à 7 000 mètres) ; il fonctionnait en principe à la verticale, et signalait par un « couinement » sonore plus ou moins intense la présence d’un gisement d’hydrocarbures. A l’époque, l’appareil Delta ne donnait aucune image exploitable.

L’appareillage B — baptisé « Oméga » — était un dispositif de reconnaissance de détail au sol donnant des images fixes (en noir et blanc) sur une petite console de visualisation. Les observateurs n’avaient évidemment pas accès à la partie essentielle, soigneusement dissimulée aux regards sous une tente, mais seulement à la console (placée à quelque distance dans une camionnette). A l’aide d’un crayon magnétique, posé sur tel ou tel point de l’image d’un « gisement », ils pouvaient interroger l’appareil sur trois paramètres : profondeur (en mètres), épaisseur du gisement (en mètres), teneur en hydrocarbures (celle-ci notée seulement sur une échelle arbitraire allant du plus léger au plus lourd). Après traitement informatique, le décodeur donnait une réponse immédiate.

Les représentants de l’ERAP furent stupéfaits de la qualité et de la précision des résultats. Leur rapport, qui ne fut consigné par écrit que le 30 mai, en témoigne :

(Lors du survol des quatre sites de Lannemezan, Bonrepos, Castera Lou, et Bazordan).

« Dans chaque cas, le procédé A a correctement indiqué la présence d’hydrocarbures et donné une évaluation convenable de leur profondeur.

Le test a été compliqué par le survol, non prévu au programme, des sites de St-Marcet (vieux gisement de gaz totalement décomprimé) et Plagne (structure reconnue sans hydrocarbures) : dans ces deux cas-là également, les réponses furent correctes (c’est-à-dire présence d’une faible quantité de gaz, et absence d’hydrocarbures).

(En reconnaissance terrestre) à Lannemezan, le procédé B détecte à 100 mètres près le niveau de la bifurcation. A Bonrepos, le procédé B retrouve les deux couches d’huile et fournit une mesure exacte de la position des cuvelages métalliques reliant le gisement à la surface. »

Aussi peuvent-ils conclure :

« Les possibilités qualitatives des procédés A et B nous paraissent étonnantes et apportent une mutation dans les techniques de prospection.

Leur emploi demandera naturellement une adaptation, ainsi que la détermination des limites techniques que nous ne connaissons pas encore, notamment en matière d’évaluation quantitative ».

Le Président Guillaumat, considérant d’une part le bilan des essais, d’autre part la qualité des personnalités et des intérêts financiers qui soutenaient M. de Villegas, décida de signer pour une période d’un an un accord avec la société FISALMA et M. de Week, Président du conseil d’administration de l’Union des Banques Suisses, agissant es-qualités de fondé de pouvoir de la société Fisalma S.A Panama, ce qui fut fait le 28 mai 1976 à Zurich.

Le 2 juin 1976, le Président de la République fut informé, lors d’une visite conjointe de M. Guillaumat et de M. Pinay, des perspectives que paraissait ouvrir le nouveau procédé de prospection, « réalisation technique extraordinaire dont quatre directeurs de la maison avaient pu éprouver les résultats dans le Sud-Ouest pendant huit jours », et des modalités de « l’accord que le groupe Elf-Aquitaine a signé le 28 mai, à Zurich, avec le Président de l’Union des Banques Suisses se portant fort pour d<* groupes techniques et financiers ». Il fut exposé que des protections extraordinaires devaient être prises pour assurer le secret de l’accord et des opérations, conduisant l’ERAP à « méconnaître les obligations de contrôle administratif et financier et de contrôle des changes » jusqu’à ce que, comme on l’espérait, « l’entente avec l’inventeur et ses parrains financiers (puisse être) consolidée et étendue. » Le Premier ministre fut à son tour informé le 8 octobre 1976.

Le contenu de l’accord de mai 1976

L’article 1 donne au groupe Elf-Aquitaine « l’exclusivité d’emploi des procédés Delta et Oméga pendant un an », ou, plus exactement, « pendant une période de douze mois de travail effectif dans des conditions normales d’emploi du personnel et des matériels » ; mais l’usage meme des procédés et des appareils reste l’affaire de la société Fisalma. Celle-ci s’engage à fournir les équipements scientifiques et les. personnels nécessaires à la mise en œuvre des procédés, et Elf-Aquitaine, les frais de campagne (logement, nourriture, voyages, déplacements), ainsi que les moyens de transport et de travail aériens, terrestres ou maritimes.

L’exclusivité d’emploi s’étend à toutes les possibilités techniques des procédés, essentiellement la recherche des hydrocarbures liquides et gazeux et, dans toute la mesure du possible, la recherche des minerais.

Selon l’article 5, « en contrepartie de l’exclusivité accordée et des services rendus, Fisalma recevra d’Elf-Aquitaine, directement ou par l’intermédiaire de toute société commise à cet effet, une rémunération définitivement acquise de 200 millions de francs suisses, payable en quatre versements égaux de 50 millions (15 juin 1976, 15 octobre 1976, 15 février, et 15 juin 1977) à l’« Union des Banques Suisses ».

En cas de découverte de pétrole au cours de cette première période, une rémunération complémentaire serait servie à Fisalma, mais elle restait à définir en fonction des résultats obtenus, l’article 6 se contentant d’affirmer qu’« Elf-Aquitaine et Fisalma détermineront ensemble un montant équitable de cette rémunération, ainsi que les modalités ne paiement ».

Mais surtout de part et d’autre on s’engage à observer le secret le plus absolu tant sur l’accord lui-même que sur le procédé et les expérimentations, au point que Fisalma se fait même reconnaître un droit « d’agrément (...) sur tous les membres du personnel Elf-Aquitaine qui interviendraient dans l’exécution de l’accord », (art.7 protection du secret) et que « les deux parties refusent le principe de toute procédure judiciaire » en cas de litige (art.8 entente et arbitrage). Enfin, les signataires « insistent sur le fait que leur accord est conclu dans un esprit tout particulier de coopération » et conviennent de « rechercher en commun, en temps utile, la meilleure mamere de consolider les résultats du travail effectue au cours de la période de validité de l’accord ».

D’ores et déjà est constituée une société simple de droit suisse — équivalent de nos associations « type 1901 » — mais non déclarée, associant M. Philippe de Week, Président, M. Pien. Guillaumat et M. Alain de Villegas, afin de donner aux parties intéressées uni structure de rencontre et de discussioi plus large.

L’ERAP s’acquitta de ses obligations financières aux dates prévues, par le canal d’une société domiciliée au Liechstenstein, Sidana Establishment mise à sa disposition par l’U.B.S. L’U.B.S prêtait à Sidana les fonds nécessaires grâce à des dépôts d’ega montant d’une filiale du groupe, II SOCAP NH (4), qui disposait d’une trésorerie importante, de sorte que rien n’apparut dans les comptes de l’ERAP de la S.N.E.A. et que les autorités de tutelle administrative et financière ignorèrent tout de l’opération.

Les campagnes de prospection

En raison des délais nécessaires pour aménager et équiper le DC-3 loué pour ! circonstance, l’utilisation du procède ne fut commencée que dans la deuxième quinzaine de juin 1976 par des survols Delta dans la région de Lacq (30 heures de vol environ entre le 22 et le 29 juin). Aucun compte-rendu détaillé ne fut semble-t-il, établi, mais de nombreux sites intéressants furent décelés, ce qui incita le groupe pétrolier à prendre un permis de recherche sur une structure anomalique autour de Montegut.

Après un mois de repos, une nouvelle campagne aérienne, plus importante et destinée à couvrir systématiquement l’ensemble de la Mer d’Iroise et de l’off-shore breton, eut lieu du 3 août au ... septembre (plus de 50 heures de vol).

L’ERAP était représenté par M. Mau... JEANTET et par M. Paul ALB... désormais chargé de diriger sur le plan technique l’ensemble de « l’operation Aix » (5). Celui-ci se montra inquiet ... critique devant les méthodes de travail plutôt artisanales de l’inventeur et de son équipe : déréglage des appareils, retards incessants, absence de toute rigueur scientifique dans la conduite et le suivi des travaux.