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veulent à tout prix comparer le petit-fils à l’aïeul, ils rendent à l’un et à l’autre, un mauvais service. Ils nous obligent à comparer, nous aussi, une fin de carrière avec le commencement d’une autre et à constater avec regret que celle-ci n’est que le prolongement de celle-là.

Nous sommes dans la Confédération ; nous avons été partie au pacte de 1867. Cartier et l’Épiscopat voulurent qu’il en fût ainsi.

Nous sommes la minorité dans la Confédération et les plus beaux gestes ne feront pas qu’il en soit autrement. LES FAITS SONT LES FAITS, et le panache de M. Bourassa, ne changera rien à la réalité des choses, croyez-le bien.

Sir Wilfrid Laurier est le Premier Ministre du Canada, du Canada de 1911, dont l’horizon s’étend beaucoup plus loin que les deux rives du St-Laurent. Le destin — ou plutôt la Providence a voulu que ce Canadien d’origine française atteigne les sommets. Il gouverne notre pays suivant l’esprit de la Constitution — non au bénéfice exclusif D’UNE RACE, ou D’UNE PROVINCE — mais au bénéfice de TOUTES LES NATIONALITÉS dont se composent les NEUF PROVINCES. Il est l’adepte des idées libérales anglaises que par une habile confusion de mots, l’on voudrait trop souvent identifier avec d’autres idées inacceptables.

Que le Gouvernement Laurier soit étroitement surveillé et vigoureusement combattu, cela est de bonne guerre. Cela est même tout à fait constitutionnel, l’opposition étant l’un des rouages essentiels à la machine administrative.

Mais que dans Québec, à propos de défense navale, l’on veuille sous le couvert d’un nationalisme — lisez castorisme — ombrageux et féroce, découronner, avilir, au nom de la race et de la religion, celui qui dirige les destinées du Canada, c’est ce que nous ne saurions tolérer.

M. Bourassa et les Éliacins qui l’entourent, s’emploient à cette tâche. Ayons la charité de dire au chef nationaliste qu’il ne suffit pas d’avoir du talent, de la fatuité et de l’aigreur pour jouer un rôle utile à son pays. En s’acharnant comme il le fait contre Laurier, ses adulateurs lui font croire qu’il recommence la lutte d’avant 1837, celle de Papineau contre le despotisme.

Erreur profonde, car c’est exactement la scène renouvelée de la lutte si peu héroïque et si injuste de Papineau contre Lafontaine, que reproduit à distance M. Bourassa.

Qui n’a pas lu sans poignants regrets, les dénonciations amères et virulentes de Papineau contre Lafontaine, dont toute la politique tendait à tirer le meilleur parti possible de la Constitution ?

La grande erreur de M. Bourassa c’est de se croire un peu, beaucoup, le Rédempteur politique du pays. Il lui faudra pourtant, un beau matin descendre du ciel de ses rêves sur la grève dure et froide de la réalité.

Avez-vous remarqué avec quelle jactance, il promet de révéler certains secrets que lui seul possède — et qu’il ne révèle jamais ? Et puis, voyez comme il affirme avec emphase — mais sans jamais prouver ses affirmations.

Un jour, il a dit, — Ô perfidie ! — qu’en 1897, lors du prébiscite, Laurier fit mander les députés de Québec au Windsor, et leur enjoignit de doser sans scrupule dans leurs comtés respectifs, le vote contre la prohibition. Voilà une méchanceté doublée d’une fausseté — mais cela fait si bien dans le paysage du « Devoir » !

Un autre jour, ou plutôt, un autre soir, il a affirmé devant la jeunesse universitaire que Laurier n’a qu’un signe à faire pour peupler Québec et l’Ouest de paysans de France. « Soixante mille Français, dit-il, quittent la France annuellement ; nous pourrions canaliser cette émigration vers nos rives — mais Laurier est un Anglifié, ses ministres et les députés, tous sont des MOUTONS ! Il ne veut pas — ils ne veulent pas ! » La salle des promotions de l’Université trop complaisamment prêtée pour la circonstance, croula sous les cris de « HONTE ! HONTE ! » et Monsieur Bourassa, le front auréolé, descendit les marches du péristyle de Laval, en esquissant un large sourire sardonique. C’est un bon tour qu’il venait de jouer à Laurier. Il a soulevé la jeunesse française contre le Premier Ministre.

Il sait, il ne peut ignorer que cinq à six mille Français au plus, quittent la France ; il sait, il ne peut ignorer que la population de la France est en décroissance ; il sait, il ne peut ignorer que de tous les pays de l’Europe, la France est celui où le travail de recrutement est le plus difficile, parce que jalousement surveillé, par des fonctionnaires avertis. Il sait tout cela, mais qu’importe ! il a insufflé méchamment dans l’oreille et dans l’âme de ses jeunes auditeurs que Laurier est anti-Français ; il a ridiculisé et calomnié M. Wiallard, notre agent en France — et il est satisfait de sa besogne de dénigreur.

Il y a trois ans que M. Bourassa a prononcé ce discours devant les Étudiants de Laval.

Or, les statistiques démontrent que depuis la nomination de M. Wiallard, à Paris, il est venu, BON AN MAL AN, au Canada, deux mille colons Français. Avant 1896, il nous venait quelques colons de hasard, une centaine au plus. Depuis 1896, le Gouvernement Laurier a nommé plusieurs sous-agents PRÊTRES et AUTRES qui, sans violer les