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– Peste, que c’est vilain, fit-il en crachant de dégoût, s’il y avait du moins quelque chose pour remplacer le nez !… mais comme cela… rien !

Dépité, se mordant les lèvres, il sortit de la pâtisserie, résolu, contre toutes ses habitudes, à ne regarder personne, à ne sourire à personne. Tout à coup, il s’arrêta comme pétrifié devant la porte d’une maison ; quelque chose d’inexplicable venait de se passer sous ses yeux. Une voiture avait fait halte devant le perron : la portière s’ouvrit, un monsieur en uniforme sauta en bas de la voiture et monta rapidement l’escalier. Quelle ne fut donc pas la terreur, et en même temps la stupéfaction de Kovaliov, lorsqu’il reconnut chez ce monsieur son propre nez !

À ce spectacle inattendu, tout sembla tournoyer devant ses yeux ; il eut peine à se maintenir debout, mais, quoiqu’il tremblât comme dans un accès de fièvre, il résolut d’attendre le retour du nez. Deux minutes plus tard celui-ci sortait en effet de la maison. Il portait un uniforme brodé d’or avec un grand col droit, un pantalon en peau et une épée au côté. Son chapeau à plumet pouvait faire croire qu’il possédait le grade de conseiller d’État. Selon toute évidence, il était en tournée de visites. Il regarda autour de lui, jeta au cocher l’ordre d’avancer, monta en voiture et partit.

Le pauvre Kovaliov faillit devenir fou. Il ne savait que penser d’un événement aussi bizarre. Comment avait-il pu se faire, en effet, qu’un nez qui, la veille encore, se trouvait sur son propre visage, et qui était certainement incapable d’aller à pied ou en voiture, portât maintenant uniforme ? Il suivit en