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Mais la Russie est une terre si bizarre, qu’il suffit de dire un mot sur un assesseur quelconque, pour que tous les assesseurs, depuis Riga jusqu’au Kamtchatka, y voient une allusion à eux-mêmes. Ceci s’applique du reste à tous les grades, à tous les rangs.

Kovaliov était un assesseur de collège du Caucase. Il n’était en possession de ce titre que depuis deux ans, c’est pourquoi il ne l’oubliait pas, fût-ce pour un instant, et afin de se donner encore plus d’importance, il ne se faisait jamais appeler assesseur de collège, mais toujours « major ».

– Écoute, ma colombe, disait-il ordinairement quand il rencontrait dans la rue une bonne femme qui vendait des faux cols, viens chez moi, j’habite rue Sadovaïa ; tu n’as qu’à demander l’appartement du major Kovaliov, chacun te l’indiquera.

Pour cette raison, nous appellerons dorénavant major cet assesseur de collège.

Le major Kovaliov avait l’habitude de se promener chaque jour sur la Perspective de Nievsky. Son faux col était toujours d’une blancheur éblouissante et très empesé. Ses favoris appartenaient à l’espèce qu’on peut rencontrer encore aujourd’hui chez les arpenteurs des gouvernements et des districts, chez les architectes et les médecins de régiment, chez bien d’autres personnes occupant des fonctions diverses et, en général, chez tous les hommes qui possèdent des joues rebondies et rubicondes et jouent en perfection au boston : ces favoris suivent le beau milieu de la joue et viennent rejoindre en ligne droite le nez.