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des autres, le sien ne l’était jamais. Son habit (Ivan Iakovlievitch ne portait jamais de redingote) était de couleur pie, c’est-à-dire qu’il était noir, mais tout couvert de taches grises et brunes ; son col était graisseux et à la place des boutons on voyait seulement pendre des fils. Ivan Iakovlievitch était un grand cynique, et lorsque l’assesseur de collège Kovaliov lui disait, pendant qu’il lui faisait la barbe : « Tes mains, Ivan Iakovlievitch, sentent toujours mauvais », il se contentait de répondre par la question :

– Pourquoi donc sentiraient-elles mauvais ?

– Je n’en sais rien, mon ami, disait alors l’assesseur de collège, le fait est qu’elles sentent mauvais.

Et Ivan Iakovlievitch, après avoir humé une prise, se mettait à le savonner, en manière de représailles, et sur les joues, et au-dessous du nez, et derrière l’oreille, et sous le menton, partout enfin où l’envie lui en prenait.

Ce citoyen respectable arriva donc sur le pont d’Issaky. Il jeta un regard autour de lui, puis se pencha sur le parapet comme pour voir la quantité de poisson qui passait sous le pont, et fit tomber tout doucement le chiffon qui renfermait le nez. Il se sentit immédiatement soulagé, comme si on lui avait enlevé un grand fardeau ; un sourire apparut même sur ses lèvres. Et au lieu de s’en aller raser les mentons des fonctionnaires, il se dirigeait vers l’établissement qui portait pour enseigne : Repas et thé – dans l’intention de se commander un verre de punch –, quand tout à coup il aperçut à l’extrémité du pont un commissaire de police du quartier, à la