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ment — qu’il avait signé quelques-unes de ses lettres ; ils n’avaient jamais échangé une seule parole, elle n’avait jamais entendu sa voix, jamais elle n’avait ouï parler de lui… jusqu’à ce même soir. Chose étrange, ce soir même, au bal, Tomsky, dépité contre la jeune princesse Pauline***, qui ne coquetait pas avec lui comme à son habitude, et désireux de se venger en rendant indifférence pour indifférence, invita Lisaveta Ivanovna et dansa avec elle une interminable mazourka. Tout le temps il la plaisanta sur sa partialité à l’égard des officiers du génie, l’assurant qu’il en savait beaucoup plus long qu’elle ne pouvait le supposer ; et quelques-unes de ses plaisanteries tombaient si bien que Lisaveta Ivanovna crut à plusieurs reprises que son secret n’en était plus un pour lui.

— De qui tenez-vous cela ? demanda-t-elle en riant.

— De l’ami de quelqu’un que vous connaissez bien, répondit Tomsky, « l’homme remarquable ».

— Et quel est cet homme remarquable ?

— On l’appelle Hermann.

Lisaveta Ivanovna ne répondit rien ; mais ses bras et ses pieds se glacèrent.

— Cet Hermann, poursuivait Tomsky, est un être véritablement romanesque : il a le profil de Napoléon et l’âme de Méphistophélès. Je crois qu’il a sur la conscience au moins trois crimes… Comme vous êtes devenue pale !…

— J’ai mal à la tête… Mais qu’est-ce qu’a dit Hermann… ou comment s’appelle-t-il ?

— Hermann est très irrité contre son ami, il disait qu’à sa