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chambre. Les bougies furent emportées ; de nouveau la pièce ne fut plus éclairée que par la lampe des icones. La comtesse apparaissait toute bleue ; elle remuait ses lèvres pendantes, et se balançait de droite à gauche. Dans ses yeux troubles se révélait l’absence absolue de toute pensée. Oïl eût pu croire, à la voir, que les oscillations de la terrifiante vieille étaient l’effet, non de sa volonté, mais d’un galvanisme caché !

Soudain ce visage mort changea étrangement. Les lèvres ne remuaient plus, les yeux vivaient : devant la comtesse se dressait un inconnu.

— N’ayez pas peur, au nom du ciel, n’ayez pas peur, dit-il d’une voix calme et claire. Je n’ai point besoin de vous nuire ; je suis venu implorer de vous une grâce, une seule.

La vieille dame le regardait en silence et, semblait-il, sans entendre. Hermann la crut sourde ; il se baissa tout près de son oreille et répéta sa phrase. L’autre resta aussi muette que devant.

— Vous pouvez, poursuivit-il, faire ma fortune sans qu’il vous en coûte rien : je sais que vous pouvez deviner trois cartes de suite…

Hermann s’arrêta. La comtesse semblait avoir compris ce qu’on lui demandait, et chercher des mots pour sa réponse.

— C’était une plaisanterie, dit-elle enfin ; je vous jure que c’était une plaisanterie.

— Il n’y a pas là de quoi plaisanter, répondit Hermann d’un air fâché. Rappelez-vous Tchaplintzky, qui grâce à vous se racquitta.

La comtesse devint visiblement confuse. Ses traits expri-