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à droite dans un cabinet où la comtesse n’entre jamais, à gauche dans un corridor ; tous y trouverez un étroit escalier en colimaçon, il mène à ma chambre. »

Hermann frémissait comme un tigre en attendant l’heure indiquée. À dix heures du soir, il se trouvait déjà devant la maison de la comtesse. Il faisait un temps affreux : le vent hurlait, une neige mêlée de pluie tombait à flocons, les réverbères jetaient une lueur blafarde ; les rues étaient désertes. De temps à autre passait avec sa rosse maigre quelque vaneka[1] à l’affût d’un voyageur attardé. Malgré son unique surtout, Hermann ne sentait ni le vent, ni la neige.

Enfin on avança la voiture de la comtesse. Hermann aperçut, soutenue par des laquais, la vieille dame toute courbée et enveloppée dans une pelisse de zibeline ; derrière elle, dans un froid manteau, des fleurs fraîches aux cheveux, apparut Lisaveta Ivanovna. La portière fut poussée avec bruit, et la voiture se mit à rouler sur la neige friable, tandis que le suisse refermait la porte.

Les fenêtres s’obscurcirent. Hermann se mit à marcher devant la maison déserte ; il était onze heures vingt. Il se tint immobile sous le réverbère, les yeux fixés sur l’aiguille de sa montre, attendant que les dernières minutes se fussent écoulées.

À onze heures et demie précises, Hermann gravit le perron de la comtesse et pénétra dans un vestibule éclairé d’une lumière vive. Le suisse n’y, était pas. Le jeune homme courut

  1. Nom qu’on donne aux pauvres cochers qui, sans autre avoir qu’une haridelle, un mauvais traîneau et de vieux harnais, s’en vont, l’hiver, gagner leur vie dans les grandes villes.