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— Je vous en prie, ma chère, dit Lisaveta Ivanovna en rougissant de cette remarque, ne m’apportez plus de billet à l’avenir. Et dites à celui qui vous envoie qu’il devrait avoir honte…

Mais Hermann ne se décourageait point. Lisaveta Ivanovna recevait chaque jour du jeune homme des lettres par différentes voies. Elles n’étaient plus traduites de l’allemand, ces lettres. Hermann les écrivait sous le coup de la passion ; il y parlait un langage propre ; elles respiraient l’intensité et le désordre d’une fougueuse imagination.

Lisaveta Ivanovna ne songeait plus maintenant à les renvoyer : elle s’enivrait de leur lecture, elle répondait, et ses billets se faisaient de jour en jour plus longs et plus tendres. Enfin, elle lui jeta par la fenêtre la lettre suivante :

« Aujourd’hui, bal chez l’ambassadeur de ***. La comtesse y sera. Nous resterons jusqu’à deux heures. Voilà pour vous une occasion de me voir tête à tête. Après le départ de la comtesse, ses domestiques ne sauraient manquer de sortir. Le suisse restera dans le vestibule ; mais il ne tarde pas d’habitude à rentrer dans sa chambre. Venez à onze heures et demie. Allez droit à l’escalier. Si vous trouvez quelqu’un dans le vestibule, demandez-lui si la comtesse est chez elle. On vous dira que non. Dans ce cas, rien à faire, il faudra vous en retourner. Mais vous ne rencontrerez sans doute personne. Les servantes sont chez elles, dans la chambre commune. Une fois dans le vestibule, prenez à gauche, allez tout droit jusqu’à la chambre à coucher de la comtesse. Là, derrière le paravent, vous verrez deux petites portes ouvrant,