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Et je rampe. Mes pieds raclent la terre, et chaque mouvement provoque une douleur insupportable. Je crie, je crie en sanglotant, et je rampe quand même. Enfin le voici. Voici la gourde ; il y a dedans de l’eau... et que d’eau ! il me semble qu’elle est plus qu’à moitié pleine. Oh ! j’aurai de l’eau pour longtemps... — Jusqu’à la mort !

Tu me sauves, ma victime. Je me suis mis à détacher la gourde, en m’appuyant sur un coude, et tout d’un coup, ayant perdu l’équilibre, je suis tombé le visage sur la poitrine de mon sauveur. On sentait déjà une forte odeur de cadavre.

Je me suis désaltéré. L’eau était chaude, mais elle n’était pas gâtée, et puis il y en avait beaucoup. Je vivrai encore quelques jours ! Je me souviens d’avoir lu dans un traité de physiologie que l’homme peut vivre plus d’une semaine sans nourriture, pourvu qu’il ait de l’eau. Oui, il y a même dans ce livre l’histoire d’un suicidé qui se laissa mourir de faim. Il vécut très longtemps parce qu’il buvait.

Eh bien ? Si je vis encore cinq ou six jours, qu’est-ce que cela me fera ? Les nôtres sont partis, les Bulgares se sont dispersés. Il n’y a pas de route dans le voisinage. Je mourrai quand même. Seulement, au lieu d’une agonie de trois jours, je m’en suis fait une d’une semaine. Ne vaut-il pas mieux en finir ? A côté de mon voisin se trouve son fusil, un excellent produit anglais. Il suffit de tendre la main ; puis, un clin d’œil, et c’est fini. Des cartouches traînent également par terre ; il y en a un tas. Il n’a pas eu le temps de les employer toutes.

Alors, faut-il que j’en finisse ou que j’attende ? — Quoi ? La délivrance ? La mort ?.. Attendre jusqu’à ce que les Turcs