Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/288

Cette page n’a pas encore été corrigée

ils donc mis en déroute ? Je commence à me rappeler ce qui m’est arrivé, d’abord vaguement, puis plus nettement, et j’arrive à la conclusion que nous ne sommes pas du tout vaincus : parce que je suis tombé (cela, du reste, je ne me le rappelle pas ; je me souviens seulement que tout le monde a volé en avant, tandis que moi je ne pouvais courir, et il ne m’est resté que quelque chose de bleu devant les yeux) — parce que je suis tombé sur le petit pré, au sommet de la colline. Ce petit pré nous avait été indiqué par notre chef de bataillon.

— Mes braves, nous y arriverons ! nous cria-t-il de sa voix sonore.

Et nous y sommes arrivés ; donc nous ne sommes pas en déroute... Pourquoi donc ne m’a-t-on pas ramassé ? Cependant ce pré est ouvert de tous côtés, la vue s’étend au loin, et certes, il n’y a pas que moi qui sois couché ici. Leur fusillade était si nourrie ! Il faut que je tourne la tête et que je regarde. Maintenant cela me sera plus commode, car au moment où, réveillé, et me soulevant, j’apercevais les brins d’herbe et la fourmi rampant la tête en bas, je ne suis pas retombé dans la même position, mais je me suis retourné sur le dos. C’est justement pour cela que je vois ces étoiles.

Je me lève et je m’assois. C’est difficile quand on a les deux jambes brisées. Plusieurs fois je suis pris de désespoir ; enfin je parviens à me mettre sur mon séant ; une douleur me point les yeux et m’arrache des larmes.

Au-dessus de moi apparaît un pan de ciel bleu-noir, où brillent une grande étoile et plusieurs petites ; tout autour, quelque chose de sombre se dresse. Ce sont des buisso