Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/28

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— Que t’est-il donc arrivé, petite mère ? Es-tu frappée de stupeur ? Ou tu n’écoutes pas, ou tu ne comprends pas !... Dieu merci ! je parle comme il sied et je ne suis pas tombée en enfance !

Lisaveta Ivanovna ne l’écoutait guère. De retour à la maison, elle courut dans sa chambre et retira la lettre du gant : elle n’était pas cachetée.

Lisaveta Ivanovna la lut d’un bout à l’autre. La lettre contenait une déclaration : elle était tendre, respectueuse, traduite mot pour mot d’un roman allemand. Mais Lisaveta Ivanovna ne savait pas l’allemand, elle fut enchantée.

Cependant cette lettre ne laissait pas de l’inquiéter beaucoup. C’était la première fois qu’elle entrait en relations avec un jeune homme ; son audace l’effrayait ; elle se reprochait sa conduite imprudente et ne savait à quoi se résoudre. Cesserait-elle de s’asseoir près de la fenêtre, en vue d’ôter au jeune homme, par cette marque d’indifférence, toute envie de pousser plus loin l’aventure ? Lui renverrait-elle sa lettre ? Lui répondrait-elle sur un ton froid et catégorique ? Elle n’avait personne à qui se confier : ni amie, ni conseillère. Lisaveta Ivanovna se décida à répondre.

Elle se mit à son secrétaire, prit une plume, du papier, et demeura pensive. Elle commença plusieurs lettres qu’elle déchirait aussitôt : tantôt les termes lui en semblaient trop tendres, tantôt trop sévères. Elle réussit enfin à tracer quelques lignes qui la satisfirent.

« Je suis sûre, écrivait-elle, que vos intentions sont honnêtes, et que vous n’avez point voulu m’outrager par une