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Lisaveta Ivanovna prit peur sans savoir elle-même pourquoi, et ce fut avec un tremblement inexplicable qu’elle s’assit dans la voiture. De retour à la maison, elle courut à la fenêtre : l’officier était à son poste, les yeux levés vers elle. Elle se retira, tourmentée par la curiosité, en proie à un sentiment entièrement nouveau pour elle.

Il ne se passa plus, dès lors, un seul jour que le jeune homme n’apparût, à heure fixe, sous les fenêtres de leur maison. Entre elle et lui s’établirent des relations tacites. En arrivant devant son métier, elle le sentait là, levait la tête, et, d’un jour à l’autre, le considérait plus longuement. Le jeune officier semblait lui en être reconnaissant : avec les yeux perçants de la jeunesse, Lisaveta Ivanovna voyait ses joues pâles se colorer d’un subit incarnat, toutes les fois que leurs regards se rencontraient. Au bout d’une semaine, elle lui souriait...

Lorsque Tomsky avait demandé à la comtesse l’autorisation de lui présenter son ami, le cœur de la pauvre fille s’était mis à battre avec force. Mais en apprenant que Naroumov était, non un ingénieur, mais un garde à cheval, elle se repentit d’avoir, par d’indiscrètes questions, livré son secret au frivole Tomsky.

Hermann était le fils d’un allemand naturalisé russe, lequel lui avait laissé une petite fortune. Pénétré de la nécessité d’assurer son indépendance, Hermann vivait de sa seule solde sans toucher à son revenu, sans se permettre le moindre caprice. Ferme d’ailleurs, et plein d’amour-propre, il donnait rarement à ses camarades l’occasion de le railler sur son économie. Il avait de grandes passions, une imagination ardente ;